Le retour
Laurette,
excédée, un peu après onze heures.
On se lève, nous
autres, demain matin. On a besoin de dormir.
- Il va falloir
aller les avertir, décréta Jean-Louis, qui venait d'apparaître dans le couloir,
vêtu de son pyjama bleu. Vous parlez de maudits sauvages! Ils sont pas capables
de regarder l'heure qu'il est!
- C'est ça, le
brave, l'approuva son frère Richard, sarcastique, en passant la tête dans
l'embrasure de la porte de sa chambre. Vas-y donc! Je suis sûr que tu vas leur
faire peur habillé comme ça.
- S'ils font
encore du vacarme à minuit, tu peux être certain que je me gênerai pas pour y
aller, fanfaronna son frère aîné. Je pourrais toujours les menacer de leur
laisser tes bas puants, ajouta-t-il. Ils penseraient tout de suite que les
égouts débordent.
Mais Jean-Louis
n'eut pas à aller avertir les Beaulieu.
Moins de cinq
minutes plus tard, tout bruit cessa à l'étage et le calme revint dans la
maison. Jean-Louis réintégra sa chambre pendant que Richard retournait se
mettre au lit aux côtés de son frère Gilles qui dormait déjà depuis plus d'une
heure, insensible aux bruits faits par les nouveaux voisins.
- Ouvre ta
fenêtre plus grand, ordonna Richard à son frère, à mi-voix. Le linge sale dans
la laveuse sent mauvais et la senteur me tombe sur le coeur.
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L'aîné ne
s'opposa pas à sa demande parce que cette odeur déplaisante le dérangeait lui
aussi, dans sa chambre.
Il entrouvrit la
fenêtre plus largement et il vérifia si les volets étaient bien crochetés avant
d'éteindre sa lampe de chevet. A l'extérieur, la pluie semblait avoir cessé
parce qu'on n'entendait plus l'eau dégoutter de l'avant-toit sur le trottoir.
Deux jours plus
tard, la pluie du début de la semaine était déjà oubliée. Il régnait une
chaleur si agréable en ce mercredi soir que beaucoup de parents avaient donné
la permission à leurs enfants de jouer à l'extérieur après le souper. Un bon
nombre d'entre eux se poursuivaient dans la grande cour en poussant des cris
excités, surveillés de près par les propriétaires inquiets des automobiles
stationnées dans l'endroit.
Sur la rue
Emmett, des petites filles jouaient à la corde à danser sur le trottoir. Un peu
plus loin, sur la rue Archambault, certains jeunes casse-cou cherchaient à
épater la galerie en participant à une course improvisée, montés sur de
vieilles bicyclettes sur lesquelles ils avaient pris soin d'installer des bouts
de carton que les rayons des roues faisaient claquer bruyamment. Devant chez
Paré, une poignée d'adolescents, un Coke à la main, chahutaient pour attirer
l'attention de deux adolescentes aguicheuses.
Pour la première
fois depuis le début du mois de septembre précédent, Laurette avait sorti sa
chaise berçante sur le trottoir pour profiter, elle aussi, du beau temps.
- Viens prendre
un peu l'air, dit Laurette à sa fille aînée, qui venait d'apparaître dans
l'embrasure de la porte d'entrée que sa mère avait volontairement laissée
ouverte.
- Il y a trop de
bruit, m'man. J'aime mieux aller m'installer dans ma chambre pour finir le
roman que
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Jacqueline m'a
prêté. Il faut que je le rapporte demain, sinon elle me passera plus rien.
- Tu passes tes
soirées à lire des romans, lui fît remarquer sa mère. Tu trouves pas que c'est
de la perte de temps?
- Qu'est-ce que
vous voulez que je fasse à part ça?
demanda Denise,
la voix amère. J'ai pas d'amis. Je sors presque jamais. Et à cette heure que
Colette Gravel a déménagé, j'ai plus personne pour aller aux vues.
- C'est correct.
C'est correct, répéta Laurette d'une voix agacée. Qu'est-ce que les autres font
en dedans?
- Gilles est
encore en train de faire ses devoirs avec Carole dans la cuisine. Richard est
sur le balcon en arrière.
Je sais pas ce
qu'il fait là, dit la jeune fille avant de disparaître à l'intérieur de
l'appartement.
Après le départ
de sa fille, Laurette alluma une cigarette après avoir déplacé légèrement sa
chaise berçante pour ne pas bloquer le passage aux rares passants qui auraient
eu besoin d'emprunter le trottoir sur lequel elle était installée.
Elle répondit
d'un signe de tête à madame Touchette qui passait sur le trottoir opposé,
précédée de trois de ses enfants soigneusement peignés et habillés proprement.
Au moment où elle
allait se demander où cette mère de famille
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