Le retour
intéressant d'assister au tournage du film Tit-Coq de Gratien Gélinas,
l'été précédent. Les scènes extérieures avaient été tournées devant le
restaurant Paré, sur le balcon et dans l'escalier voisins. Carole et Mireille, de
retour d'une promenade sur la rue Archambault, s'étaient mêlées à la
conversation des adultes pour dire à quel point elles avaient trouvé amusant de
faire partie des figurants que le cinéaste avait récompensés avec des bonbons.
Avant de rentrer, les deux couples s'étaient promis d'assister à la projection
de ce film-là, surtout pour tenter de reconnaître des voisins.
Ce soir-là,
Richard fut le dernier de la famille à rentrer à la maison. Lorsqu'il se
présenta dans la cuisine, tout le monde était en train de prendre une
collation. L'appartement était surchauffé et pas un souffle d'air ne pénétrait
dans la pièce par la porte-moustiquaire et par la fenêtre.
- Ah ben, bonyeu!
s'exclama Laurette en apercevant son fils cadet. Veux-tu ben me dire ce qui
t'est arrivé?
La grosse femme
quitta précipitamment la table, saisit son fils par une épaule et l'approcha
d'elle pour mieux examiner son visage où l'oeil droit était à demi fermé. L'une
de ses joues enflées était ornée d'une profonde éraflure.
- On dirait ben
qu'il est passé en dessous des p'tits chars! plaisanta Jean-Louis en jetant un
coup d'oeil indifférent à son jeune frère. Il a dû ouvrir sa grande gueule une
fois de trop.
- Qu'est-ce qui
t'est arrivé? lui demanda son père, la mine inquiète.
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- J'ai rencontré
des bums, se contenta de dire l'adolescent.
- Mais ils t'ont
ben magané! s'exclama sa mère.
- Je me suis pas
laissé faire, plastronna Richard. Eux autres aussi, ils en ont mangé une
maudite.
- Est-ce qu'ils
t'ont battu parce que tu posais des affiches? demanda son père.
- Pantoute,
mentit encore une fois Richard, ne voulant pas se faire interdire cet emploi.
C'est en revenant de l'ouvrage, tout à l'heure.
- T'es sûr de ça,
toi? fit sa mère, sceptique.
- Puisque je vous
le dis, m'man.
- C'est correct.
Va te nettoyer le visage et mets-toi du mercurochrome sur ta coupure. Tu vas
avoir l'air fin pour aller travailler arrangé comme ça, chez ton oncle, demain
matin, ajouta-t-elle, mécontente.
- Je vais juste
lui dire que vous m'avez encore battu, plaisanta Richard, en réprimant un
rictus de douleur.
- Toi, le
comique, c'est tout ce que tu mériterais, le menaça sa mère, mi-sérieuse.
Une heure plus
tard, Laurette se préparait à se mettre au lit quand le bruit d'une violente
dispute lui parvint de l'étage au-dessus. Comme cela provenait de l'arrière,
elle s'approcha, curieuse, de la porte-moustiquaire pour mieux entendre ce qui
se passait chez les Beaulieu. Il y eut un bruit de chaises bousculées sur le
balcon, à l'étage, et elle entendit la voix avinée de Vital Beaulieu.
- Maudite grosse
vache! hurla le petit homme à sa femme. Ça fait trois fois que je te dis de
m'apporter une autre bouteille de bière. Es-tu sourde? Grouille-toi, Christ!
- Pas si fort,
Vital, lui ordonna sa femme à mi-voix.
Tous les voisins
vont t'entendre.
- Je m'en sacre
comme de l'an quarante! s'écria l'employé de la Dominion Textile. Je suis chez
nous,
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ici, sacrament!
Personne va venir me dire ce que je dois faire.
- Il est passé
onze heures. Tiens, v'ià ta bière. Tu trouves pas que t'as assez bu comme ça?
Viens donc te coucher.
- Toi, calvaire,
mêle-toi de tes maudites affaires et ôte-toi de devant ma face. Je boirai
autant que je voudrai et ça te regarde pas.
Il y eut un bruit
de bousculade sur le balcon. Une porte claqua. Laurette entendit le raclement
d'une chaise et le calme revint. Elle quitta son poste d'observation et alla
rejoindre Gérard qui venait de s'agenouiller près du lit pour dire sa prière.
Elle l'imita. Quand elle se releva, elle chuchota à son mari:
- Je te dis que
ça barde en haut. Le bonhomme Beaulieu a l'air à moitié soûl et il bardasse sa
femme.
- C'est pas de
nos affaires, laissa tomber Gérard en se mettant au lit.
- Il est gros
comme une chenille à poils. Si j'étais sa femme, je te lui ramènerais une
claque sur le museau qui le calmerait. Elle est deux fois plus grosse que lui.
- C'est ça. Va
donc le brasser comme t'as déjà fait pour Rocheleau, en face, fît son mari,
d'une voix acide.
Laurette
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