Le rêve de Marigny
réalisation du projet. La place s’étendrait de l’emplacement de l’hôtel de Conti au carrefour de Buci. Il fallait aussi prendre en compte la nécessité d’aménager cette place dans un lieu habité car il était obligé de placer le roi au milieu de son peuple. Il ne restait plus qu’à évaluer le coût de l’opération. Il s’avéra qu’il serait inacceptable. Il était évident de surcroît qu’on ne pourrait éluder les difficultés et peut-être les troubles qui surgiraient. Le prince de Conti voulait vendre son hôtel, soit. Affaire réglée ? Les habitants du quartier de Buci se plaisaient là où ils étaient. Allaient-ils laisser détruire leurs maisons, leurs commerces ? Il fallait faire du vide ailleurs ! Mais y avait-il un quartier de Paris dont les habitants aimeraient être délogés ? Toute intervention coûterait une fortune et susciterait la colère.
Le roi dénoua la situation en 1750 en offrant un terrain qui lui appartenait. Il s’agissait d’une parcellenon aménagée qu’on appelait communément « esplanade du pont tournant ». L’endroit situé au bout des jardins des Tuileries était à l’époque totalement excentré. L’idée ferait frémir les plus frileux. L’anticipation était pourtant remarquable. Déjà de nouveaux quartiers se construisaient, encore timidement certes, à l’ouest de la capitale. C’était le faubourg Saint-Honoré, l’ancien village du Roule devenu récemment faubourg de Paris. L’avenir de l’urbanisation était incontestablement là. Il restait à imaginer la théâtralisation de la statue équestre. Superbe perspective pour l’enthousiasme de Vandières, pour l’imagination ambitieuse de Gabriel le Premier Architecte du Roi, pour l’intuition géniale de Soufflot. Le projet était exaltant, mais tout était à inventer. À l’aube de l’année 1753, Jeanne commençait à piaffer. Elle accueillit fraîchement, sinon le cher frérot, au moins le Directeur des Bâtiments qu’il était.
— Vous avez le terrain, les choses peuvent commencer.
— Oui…
Abel acquiesçait sans empressement, la marquise s’en inquiéta et s’en irrita. D’où venait cette réticence ? Elle fronça un sourcil impatient. Vandières concéda :
— L’emplacement est plein de promesses.
Jeanne eut un geste autoritaire de la main, elle persista à se taire. Il faudrait bien qu’Abel consentît à dévoiler le fond de sa pensée.
— Ce n’est encore qu’un vaste bourbier.
— Asséchez-le !
— Les premiers tombereaux de cailloux y seront déversés en temps, mais il faut d’abord déterminer le projet architectural de la future place.
— Quand ?
— Je ne saurais le dire.
— Vous êtes le Directeur des Bâtiments.
— Et je dois travailler avec une troupe d’architectes, tous aussi talentueux que certains de leur indéniable compétence mais dont les idées ne vont pas forcément par le même chemin.
— Il y a un Premier Architecte du Roi.
— Qui n’est pas l’homme le plus accommodant.
— Il tient à son rôle, c’est tout à fait justifié.
Abel inclina la tête. Approbation ? Il semblait rendre provisoirement les armes. Pas tout à fait.
— Il y a eu des projets.
— Nous le savons tous. Ceux du concours lancé par la ville de Paris Dès 1748. L’oncle Tournehem…
— Il m’en a tenu au courant dans ses courriers. Ces projets étaient inacceptables.
— Il y avait pourtant quatre-vingt-dix projets, pour le moins. D’Argenson me l’a affirmé.
— Cent peut-être ! Tous plus coûteux les uns que les autres ! Le plus inacceptable étant encore que chacun d’entre eux exigeait de grandes démolitions. Les populations n’aiment pas qu’on détruise, même pour rebâtir. Il faut tout de même garder en mémoire que ce concours, étant ouvert à tous, il y a eu en dehors des projets des architectes plus de cent cinquante propositions émanant de toutes sortes de gens.
— Cet enthousiasme ne peut que nous inciter à aller plus loin, et plus vite.
— Et plus raisonnablement. Il faut aujourd’hui faire table rase de ce fatras et réfléchir à partir du réel, c’est-à-dire le terrain que le roi donne pour ce projet.
— C’est parfait. Quand le projet verra-t-il le jour ?
— Le Premier Architecte du Roi lance un concours ouvert à tous les architectes de l’Académie. On va leur fournir un plan du terrain, ils nous présenteront chacun leur projet.
— Un
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