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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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conscient qu’il aurait dû arrêter là un commerce si peu élégant. Il était pourtant devenu un temps « le monsieur » de la rue Neuve-des-Petits-Champs, tout en tentant de tenir l’affaire secrète, ce qui n’avait trompé personne. La prérogative était coûteuse mais Thérèse avait des arguments propres à retenir un temps un jeune Directeur des Bâtiments. Il s’était enfin lassé de tant de frais exclusifs pour des avantages à partager. La compagnie ambiante lui avait aussi lourdement pesé. À la fin de l’année 1753, l’affaire Vestris appartenait au passé, Vandières avait alors bien d’autres choses en tête. Les grands projets n’avaient eu aucun mal à chasser une danseuse, eût-elle d’incontestables et multiples talents. La Vestris n’était qu’un souvenir.

    Abel ressassait pourtant avec déplaisir le dernier épisode Vestris dont on faisait des gorges chaudes à Paris et à Versailles et qu’il ne pouvait ignorer. Le « monsieur du moment » était un supposé marquis du Courtil. Parfait inconnu ! Est-ce un nom d’emprunt ? On racontait, et on en riait beaucoup, que le généreux protecteur se serait présenté à l’improviste quand la Vestris étaitoccupée avec un jeune Anglais qu’elle s’était empressée de dissimuler dans une armoire pour… s’occuper tout à l’aise avec le monsieur . L’Anglais sortant inopinément du placard avait créé la surprise, une amorce de duel s’en était suivie, arrêtée à temps par l’intervention du guet alerté par la servante. Invraisemblable ? Non ! Avec la Vestris tout était possible, elle ne savait vivre que dans l’excès. Drôle ? Pas le moins du monde, car la rumeur voulait voir Vandières dans le rôle du marquis non identifié. On ne prête qu’aux riches ! Abel ne décolérait pas. Avec un rien d’impatience, il pria le cocher de presser le train de la course, son père l’attendait rue Saint-Thomas-du-Louvre, il avait hâte de se retremper dans le cocon rassurant de la famille.

Jeanne ne se lasserait sans doute jamais de vouloir marier sa famille. Elle venait de placer deux nièces, fort avantageusement, et organisait la cérémonie du contrat chez elle. Dans son élan elle avait aussi scellé le destin d’une vague cousine. Les trois futures mariées avaient entre dix et douze ans et sitôt mariées retourneraient au couvent en attendant d’avoir l’âge de vivre avec leur époux. Tout était parfait, les demoiselles étaient établies. Les tractations n’avaient pas été difficiles, mais Jeanne avait d’autres projets en tête. Il lui fallait marier sa fille. C’était plus délicat car elle visait haut mais elle était opiniâtre. Elle venait de gagner et resplendissait de joie pour annoncer la nouvelle à son frère.
    — Je viens de conclure le mariage d’Alexandrine. Ah ! cela m’est une grande joie !
    — Alexandrine ? Mais quel âge a-t-elle ?
    — Dix ans.
    — N’est-ce pas un peu tôt ?
    — Le mariage ne sera célébré que lorsqu’elle aura douze ans.
    — Cela change tout, railla Vandières avec un sourire narquois.
    — Je ne comprends pas votre ironie, Abel. Elle retournera au couvent aussitôt après la cérémonie.
    — Je ne comprends pas votre hâte, reprit Abel plussérieusement. Je sais que le roi a marié Madame Infante au même âge, mais on peut comprendre cela quand il s’agit d’enfants royaux et de considérations politiques. Alexandrine…
    — Alexandrine a besoin d’un état qui la fera respecter. Elle va épouser le duc de Pecquigny, le fils du duc de Chaulnes.
    — Qui a le même âge ?
    — Sensiblement, je crois.
    Jeanne afficha un air étonné. Pourquoi cette question ? Elle continua.
    — Alexandrine sera duchesse.
    — Ah ! Le tabouret ! Elle pourra s’asseoir en présence de la reine. C’est important quand on a mal aux pieds. Mais à douze ans on reste volontiers debout.
    — Épargnez-moi vos sarcasmes. Ce n’est pas rien de s’allier à la maison de Chaulnes et de Luynes.
    — Sans doute, mais vous pouviez laisser Alexandrine jouer encore un moment à la poupée.
    — Qui l’en empêchera ?
    La question resta sans réponse. Abel ne put se retenir de faire encore une remarque.
    — Le roi vous a élevée au rang de duchesse récemment. Avions-nous besoin d’une autre duchesse dans la famille ?

    Abel se retira fâché des prétentions et des agissements de sa sœur. Jeanne décidait vraiment pour tout le monde !

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