Le secret d'Eleusis
eut traversé Petres, Knox eut la route pour lui tout seul. Au début, il apprécia de prendre les virages en épingle à cheveux un peu plus vite que la prudence ne l’exigeait mais, peu à peu, cette tranquillité finit par l’intriguer. Même à cette heure, un samedi, il aurait dû y avoir davantage d’automobilistes. Près du sommet d’un col, il repéra les premiers signes d’une situation anormale : la route avait été refaite si récemment que le goudron luisant collait aux pneus de la voiture. Quelques centaines de mètres plus loin, il aperçut de gigantesques buses grises, probablement destinées à un tunnel qui allait être percé dans la montagne. Le revêtement de la route disparut. Knox roulait désormais sur la roche, parsemée ici et là de quelques touffes d’herbe. Il rétrograda, franchit le col en première et descendit sur l’autre versant en s’attendant presque à se heurter à un obstacle. Il ne fut donc pas surpris lorsqu’il vit des barrières rouges et blanches en travers de la route, une longue file de bulldozers et d’immenses tas de roche brisée.
Il s’arrêta et serra le volant entre ses mains. En temps normal, il aurait simplement été exaspéré de constater que personne n’avait eu l’idée de mettre un panneau à cinquante kilomètres de là mais, à cet instant, il eut l’horrible pressentiment, à la fois irrationnel et irrépressible, que Gaëlle était en danger. Il prit la carte qu’il s’était procurée à l’agence de location de voitures. Il avait le choix entre la peste et le choléra. Soit il faisait un long détour à travers les montagnes, soit il retournait vers la côte nord, gagnait Rethymnon, à l’est, puis reprenait la direction du sud. Dans les deux cas, il en aurait pour au moins trois heures. Il descendit de voiture, claqua la portière et marcha jusqu’aux barrières pour aller regarder la route.
III
Gaëlle entra dans l’enclos d’Argo pour remplir les bols vides. Le chien se mit à danser autour d’elle, avant de tacher sa chemise en posant ses pattes sur sa poitrine. Sa langue lui râpa la joue comme du papier de verre mouillé. Sa joie de la voir était extraordinaire, comme s’il avait failli la perdre. Elle ne put s’empêcher d’être touchée par ses marques d’affection. Heureuse de compter autant pour un autre être vivant, elle le serra chaleureusement contre elle en regrettant toutefois qu’il n’ait pas meilleure haleine.
Iain lui fit signe de la main et traversa l’orangeraie, le Mauser en bandoulière. Elle n’avait pas cru à son histoire de gibier ; ils avaient largement de quoi manger au cellier. Soit il avait besoin du fusil pour une autre raison, soit il ne voulait pas qu’elle l’ait. Elle le regarda disparaître derrière les noyers et retourna à la maison sans trop savoir quoi faire. Pour se connecter au réseau, Iain devrait grimper pendant près d’une heure. Si elle comptait le temps de la conversation avec Knox, elle avait probablement deux heures devant elle avant son retour. Elle allait devoir les optimiser pour essayer d’en savoir plus sur les découvertes de Petitier et les indiscrétions de Iain. Une fois dans le séjour, elle poussa le fauteuil, enroula le tapis, souleva la trappe et descendit l’escalier dans l’obscurité, avant de chercher les interrupteurs à tâtons. Elle commença par vérifier qu’il s’agissait bien de Iain sur les photos, de peur que son imagination ne lui ait joué des tours.
C’était bien lui. Aucun doute.
Un bruit de pas derrière elle ! Pour la seconde fois ce matin-là, elle se retourna et vit Iain l’observer.
— Je le savais ! s’exclama-t-il, le Mauser toujours en bandoulière. Je savais que vous aviez trouvé quelque chose !
— Mais je viens juste de découvrir cet endroit ! lança-t-elle. Toutes ces photos sur le mur, comment aurait-il pu les faire développer ? Plus personne ne développe le noir et blanc. Il avait forcément une chambre noire, vous comprenez ?
Elle avait conscience d’avoir l’air de se justifier mais ne pouvait pas s’arrêter.
— Et j’ai pensé qu’elle se trouvait dans la maison à cause de cette odeur de vinaigre, continua-t-elle. L’acide acétique, vous savez ? Les photographes l’utilisent comme fixateur.
Mais Iain n’écoutait pas. Il balayait la chambre noire du regard avec stupéfaction. Puis il posa les yeux sur Gaëlle et sur le dossier qu’elle tenait.
— Qu’est-ce que
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