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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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tenir ses lèvres scellées en présence de son beau-père. Convié au déjeuner de famille, Victor avait accepté de goûter au gratin dauphinois d’Euphrosine, Tasha étant absente pour la journée. Cependant, pas question d’interroger Jojo. Le dessert expédié, il avait, conformément à son plan, pris congé de la compagnie, au vif mécontentement de Kenji.
    Captif d’un embouteillage, le cocher le déposa boulevard de Magenta au débouché de la rue de Lancry. Il accéda à la rue des Vinaigriers par le quai de Valmy et repéra un petit café à l’enseigne de L’ Ancre de Fortune . Au fond de la salle minuscule, un consommateur solitaire était attablé face à une glace tavelée.
    Victor commanda un vermouth cassis au zinc, noua conversation avec le tenancier et lui mentionna incidemment le nom de Mme Guérin.
    Le consommateur solitaire épia le reflet du nouveau venu.
    — La veuve Guérin ? s’exclama le tenancier. Si je la connais ? Et comment ! Une vieille copine, elle a jamais quitté le quartier, elle tient la confiserie, un peu plus haut, Au Chinois bleu , en mémoire de son père qu’a été tué à Palikao.
    — Palikao ? Où est-ce ? demanda poliment Victor en lorgnant la sortie.
    — En Chine. Il servait sous les ordres du général Cousin-Montauban, c’est de l’histoire ancienne.
    Corentin Jourdan sursauta. Il observa la glace avec la soudaine certitude d’un danger menaçant, comme un lièvre dans un champ dresse instinctivement l’oreille à l’approche du braconnier. Le consommateur avait disparu. Corentin paya son verre et alla se poster sous l’auvent de la boulangerie.
    Quand Victor accosta le Chinois bleu , une cliente et la gamine emplissaient de friandises des sachets à l’aide d’une pelle d’argent.
    — C’est plus qu’un simple baptême, madame Hermance, c’est aussi une fête de famille, et mes neveux raffolent de vos pastilles à la menthe, ainsi que de vos sucres d’orge. Quant à Bastienne, elle est entichée de vos calissons.
    — Maman, j’adore les fondants, zézaya la fillette.
    La marchande pesa les sachets. Son bonnet de dentelle noire couvrait un chignon incapable de dompter un moutonnement ambré strié de gris qui encadrait un visage à l’expression candide. Si les iris d’un bleu porcelaine étaient pareils à ceux d’une poupée, les ridules festonnant les joues trahissaient l’âge de Mme Guérin.
    Pourtant ce fut d’une voix enfantine qu’elle s’adressa a Victor dès qu’ils furent seuls :
    — Et vous, monsieur, qu’est-ce que ce sera ?
    — Je ne souhaite pas faire emplette de bonbons, mais obtenir des renseignements sur Louise Fontane. Je me nomme Maurice Laumier, je suis artiste peintre. Ma fiancée, Mireille Lestocart, m’a chargé de pister sa cousine Loulou, dont les camarades d’atelier, rue Aboukir, m’ont assuré qu’elle s’était installée chez vous il y a trois semaines. Or j’ai appris tout récemment que cette jeune fille a été étranglée.
    Depuis qu’il avait le triste privilège d’enquêter sur des morts tragiques, Victor s’était frotté à tant de suspects qu’il avait acquis un sens affiné des comportements. Bien que Mme Guérin fût restée impassible tandis qu’il récitait sa tirade, elle n’avait pu maîtriser un clignement de ses paupières et une contraction de ses mâchoires, plus révélateurs qu’un aveu. Elle connaissait Louise, même si elle affirma d’un ton acidulé :
    — Ce nom m’est étranger.
    Victor lui tendit la feuille de L’ Intransigeant . La lecture du texte souligné de vermillon provoqua un imperceptible tremblement de ses mains qui confirma ses soupçons. Cette femme mentait.
    — Je reviens de la morgue et je suis hélas formel : la victime est Louise Fontane.
    — Monsieur, je vous le répète, je ne fréquente aucune dame de ce nom, on vous aura conté des fables, ou alors vous aurez compris de travers. Des Guérin, ce n’est pas ce qui fait défaut. Mon commerce me vaut une nombreuse clientèle, communions, mariages, cérémonies de toute sorte ou pure gourmandise. Je fournis les maisons bourgeoises, Noël et le Nouvel An sont ma grande saison. On aura confondu mon nom avec celui d’un ou d’une de mes pratiques. Non, je n’ai jamais eu affaire à cette… comment déjà ?
    — Louise Fontane.
    — Désolée, monsieur, conclut-elle, lui restituant l’article.
    Elle avait repris son aplomb.
    La ville s’enveloppait de crépuscule.

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