Le Temple Noir
quand ?
— J’ai un rendez-vous demain à Jérusalem.
La femme haussa les épaules.
— Tu peux l’oublier ! Les gardes du Légat surveillent toutes les portes d’entrée. Et, depuis l’affaire de la place du marché, leurs contrôles sont très stricts.
— Ne t’inquiète pas pour moi, je sais comment rentrer en ville, sans me faire remarquer.
Le Devin s’installa plus commodément. Il avait le corps moulu du trajet depuis Ein Kerem et l’esprit inquiet des paroles de Bina.
— Tu traites toujours avec des Juifs ?
Sous ses sourcils finement épilés, le regard de la femme se fit plus brillant.
— Je traite avec tous ceux qui ont de la marchandise de confiance à proposer. Le commerce des reliques est très particulier. Il ne s’agit pas d’acheter un bout d’os et de proclamer urbi et orbi qu’il s’agit du crâne de saint Jean. Ce qui compte, c’est de pouvoir tracer la généalogie de la relique pour en affirmer l’authenticité. De ce point de vue, les Juifs sont des gens précieux. Surtout en ce moment.
— Comment ça ?
— Depuis les arrestations de Caïpha, les Hébreux sont effrayés. Beaucoup pensent à quitter la ville. Alors ils ont besoin de numéraire, très vite.
Le front du templier se plissa.
— Je ne comprends pas, les fils d’Abraham sortent des reliques de leurs coffres pour te les vendre ?
— M’en vendre, non… en revanche me vendre l’endroit où je pourrais en trouver, oui.
D’un coup, le Devin saisit :
— Tu veux dire des catacombes ?
La femme hocha la tête en ajoutant :
— Certaines vieilles familles savent où ont été enterrés les chrétiens des origines. Une tradition orale transmise de génération en génération.
— Tu sembles bien renseignée.
— Les Hébreux sont comme tous les autres peuples, superstitieux en diable. Une de leurs pires peurs est d’être enterrés à côté de Juifs apostats. Ils ont peur que Dieu se trompe et ne fasse tomber sur leur âme des tombereaux de malédictions.
— Alors, ils connaissent le lieu des plus anciennes catacombes, reprit le Devin, songeur. Tu as déjà acheté ces renseignements ?
La femme inclina ses mains vers le feu. De minuscules taches brunes maculaient sa peau et trahissaient son âge.
— Justement, je dois recevoir un Juif demain matin. Il veut me vendre une carte…
— Combien ? la coupa le templier.
— Cent florins, mais c’est bien trop cher et…
— Propose-lui le double. Le Temple paiera.
— Mais…
Le Devin rajusta sa cape et se leva. Une cloche sonna dans la vieille ville.
— Dis-lui que je veux un plan du Schéol .
Ferme d’Ein Kerem
Roncelin se pencha sur l’évier en pierre, trempa le tissu encore chaud et revint le poser sur le front de Bina. Malgré la fièvre, la jeune femme avait retrouvé ses esprits. À l’exception de celui de son père qui semblait avoir disparu. D’ailleurs, elle n’en gardait pas le moindre souvenir. Le Provençal, patiemment, avait dû lui répéter les paroles échappées lors de sa transe. Étrangement, cette possession ne semblait pas l’étonner comme s’il était normal que son défunt de père s’invite dans son esprit et parle par sa voix. Une sérénité face à l’invisible qui surprenait Roncelin.
— Si les prêtres du Légat n’avaient entendu que le quart de tes paroles, tu serais déjà sur un bûcher à hurler dans les flammes.
— En attendant celles de l’enfer, répliqua Bina, je sais. Figure-toi que je connais le traitement que votre Dieu d’amour réserve à tous ceux qui n’ont pas la chance de croire en Lui. Sauf que moi, je n’y crois pas.
Roncelin fit un signe de croix. Dans sa jeunesse, il avait souvent été effrayé par les sculptures au tympan des églises où l’on voyait des monstres sortis des ténèbres venir dévorer l’âme damnée des pécheurs.
— Tu ne crois pas aux châtiments éternels ? Aux tortures des démons ? Au royaume de Satan ?
Bina, malgré sa fièvre, éclata de rire.
— À ton Diable des ténèbres aux pieds fourchus et son armée de diablotins noirs comme de la suie ? Sûrement pas !
Le Provençal se signa à nouveau.
— Tu blasphèmes.
Soudain la jeune femme redevint grave.
— Dis-moi, mon père était juif, rabbin de surcroît. Un païen à vos yeux, il doit donc rôtir dans les flammes éternelles de l’enfer ?
Roncelin ne répondit pas. Chaque fois qu’on évoquait Maïmonès, il était
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