Le templier déchu
Son attitude ce soir-là l’avait intriguée, mais elle l’avait mise une fois de plus sur le compte de la captivité qui avait fait de lui un autre homme.
Lorsqu’il avait retrouvé son attitude calme et réservée, elle ne s’en était pas inquiétée. Elle n’y aurait du reste pas prêté attention outre mesure si elle n’avait également perçu en lui une étrange tristesse, qui la déconcertait et la faisait s’interroger...
— Beth ?
— Oui, messire ? répondit-elle, brusquement arrachée à ses réflexions.
— Aubert m’a fait prévenir que vous souhaitiez me voir au plus vite. De quoi s’agit-il ?
Elizabeth retrouva sa bonne humeur.
— De votre récompense, bien entendu.
Elle aurait juré avoir lu du désarroi dans son regard avant qu’il ne prenne un air d’intérêt poli.
Son initiative lui déplaisait-elle ? Pourtant, il prenait un bain chaque jour, sinon dans un baquet, au moins dans le ruisseau qui coulait au pied du château.
— Vous aurais-je contrarié, messire ? hasarda-t-elle, déconcertée par son silence. Aviez-vous d’autres projets ? Peut-être n’est-ce pas le bon moment pour...
— Non, je... enfin, oui, c’est juste que...
Il s’éclaircit la voix, glissa un bref regard du côté du baquet d’où s’échappaient des vapeurs odorantes, puis reprit :
— Je vous remercie de vous être donné tout ce mal, Beth. J’ai en effet bien besoin d’un bon bain si je veux être présentable ce soir.
Il s’avança avec une certaine gaucherie, saisit un pot de savon ainsi qu’une serviette, avant de pivoter face à Elizabeth.
— Je suis sûr que vous avez beaucoup à faire de votre côté en attendant l’arrivée de nos invités. Sentez-vous libre de partir...
— Il n’en est pas question ! se récria-t-elle, sans parvenir cette fois à dissimuler son exaspération.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai l’intention de vous savonner, messire ! riposta-t-elle avant de lui confisquer la serviette et le pot de savon.
Le cœur d’Alexandre se serra, alors même que son corps réagissait à la perspective des mains douces de la jeune femme le caressant, l’enduisant de savon parfumé, le massant longuement. Il recula cependant, soucieux d’établir une distance physique entre eux. Ce qu’il partageait avec elle était déjà suffisamment difficile à maîtriser. Le plaisir qu’il tirait de leurs rapports intimes était d’une intensité inouïe, et semblait aller grandissant, quels que soient ses efforts pour s’obliger à n’y voir qu’un devoir nécessaire auquel il ne pouvait se soustraire.
Ce qu’il ressentait pour elle n’avait rien de superficiel.
Quant à son sentiment de culpabilité... Seigneur, il revenait à la charge chaque fois qu’il croisait son beau regard confiant. Et c’était pire chaque jour, au point qu’il avait l’impression que cette souffrance-là finirait par le briser plus sûrement que n’y étaient parvenues les tortures infligées par ses bourreaux.
Il lui suffisait d’imaginer ces mains fines, humides de savon, glissant sur sa peau nue et... doux Jésus, pour un peu il en serait tombé à genoux !
S’obligeant à rire, il s’éloigna de quelques pas tout en se débarrassant de son bliaut crotté.
— J’apprécie beaucoup votre offre, madame, mais je vous assure que je suis assez grand pour me débrouiller seul.
— Sans doute, mais il ne s’agit pas de cela. Ce bain est votre récompense pour avoir gagné à la marelle. Et, au-delà, il vous était dû depuis votre retour à Dunleavy. J’étais en effet censée vous l’offrir en tant que châtelaine, mais la ferveur de l’accueil que je vous ai réservé le soir de votre arrivée au château ne me l’a pas permis, si vous vous en souvenez.
— Je me souviens fort bien de votre attaque, en effet.
Elle lui jeta un regard d’avertissement. De toute évidence, elle n’avait nulle envie de se remémorer cet épisode en détail. Cependant, une lueur espiègle s’alluma dans ses prunelles et le coin de sa bouche se retroussa imperceptiblement comme elle déclarait :
— Par conséquent, messire, j’ai l’intention de vous assister durant vos ablutions et de remplir ainsi mes deux obligations... Peut-être même trois, ajouta-t-elle en arquant les sourcils.
— Trois ? répéta-t-il alors même qu’il savait qu’il n’aurait pas dû insister.
— Oui, trois, confirma Elizabeth. Premièrement, votre récompense, deuxièmement, votre dû
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