Le tombeau d'Alexandre

AK-47 à la main mais ne le tenait pas fermement. L’occasion était trop belle. Elena se dirigea vers eux, le Walther à demi caché derrière le dos.
    Les deux hommes se tournèrent dans sa direction lorsqu’ils la virent arriver. Dragoumis fronça les sourcils, comme s’il avait remarqué quelque chose d’anormal dans son expression.
    — Oui ? demanda-t-il.
    Elle s’attaqua d’abord à Costis en appuyant sur la détente alors qu’elle levait encore le bras vers lui. La première balle lui perfora la cage thoracique. Avec le recul, la main d’Elena sursauta, si bien que la deuxième balle arriva plus haut, juste sous la gorge. Costis tomba à terre. Elena n’avait plus le sens du temps ni de l’espace. A sa gauche, des hommes bondirent du camion en criant et en courant chercher leurs armes. Elle les ignora. Elle se sentait étrangement invulnérable. Costis faisait des gargouillis bizarres. Il redressa la tête pour regarder son torse couvert de sang et tenta de poser les mains sur ses plaies. Elle s’éloigna d’un pas, lui visa le nez et tira encore une fois. La balle lui déchira l’arcade sourcilière et sa tête retomba inerte dans le sable.
    Elle se tourna vers Dragoumis. Il avait le visage pâle, comme figé dans la glace. Elle s’approcha et lui pointa son pistolet sur le cœur.
    — Dites à vos hommes de se tenir tranquilles, exigea-t-elle.
    Dragoumis n’en fit rien. Elle leva le bras et posa l’arme contre son front. Quand elle le vit trembler, elle s’en réjouit profondément. Puis elle constata qu’il ne tremblait pas de peur mais de colère.
    — Je n’ai pas tué Pavlos, annonça-t-il d’un ton catégorique.
    — Si, vous l’avez tué.
    — Vous avez ma parole, c’était un accident.
    — Ce n’était pas un accident. Croyez-moi, je sais tout. Je sais que vous avez loué les services d’une putain pour qu’elle séduise Pavlos. Je sais que vous les avez fait filmer, que vous lui avez montré l’enregistrement. Je sais que vous l’avez menacé de m’en envoyer une copie s’il ne renonçait pas à réclamer une enquête.
    — Alors vous savez aussi que je n’avais pas besoin de le tuer.
    Elena sentit les larmes lui couler sur les joues.
    — Vous croyiez vraiment que vous pourriez manipuler Pavlos ? Aucun risque. Pas vous. Pas moi. Ni personne. Il est venu me voir. Et il m’a tout raconté. C’est pour ça que je sais que tout est de votre faute.
    Un muscle trembla sur la tempe de Dragoumis.
    — Je vous donne ma parole. Je le jure sur la Macédoine. Sur la dépouille d’Alexandre. Sur ma défunte épouse. Je n’ai jamais donné l’ordre de tuer Pavlos.
    — Non, c’est moi qui l’ai fait. Je l’ai fait tuer à cause de votre putain de film.
    Elle sourit en voyant Dragoumis assimiler cette révélation, en saisir tout le sens et avoir pour la première fois la certitude qu’il allait mourir. Elle savoura cet instant et lui tira une balle dans le front. Des débris de cerveau et d’os s’éparpillèrent sur le sable comme du blé de semence. Puis elle pensa à Pavlos, qui lui manquait tant. Elle se fourra le canon du pistolet dans la bouche, ferma les yeux, invoqua le nom de son mari et appuya sur la détente une dernière fois.

Chapitre 37
     
    I
    Nicolas Dragoumis tressaillit et ferma les yeux un millième de seconde avant qu’Elena ne tue son père et ne retourne l’arme contre elle. Lorsqu’il les rouvrit, son père était allongé sur le côté, un bras en l’air et l’autre bizarrement coincé sous lui, les jambes repliées comme deux branches d’un svastika. Il le fixa longuement, incapable d’analyser ce qu’il voyait. Il était impossible qu’un homme comme lui disparaisse de manière aussi rapide et définitive. Il passa en chancelant par-dessus le corps inerte d’Elena et s’approcha de lui dans l’espoir de le voir bouger, se lever, brosser ses vêtements et donner ses ordres.
    Il sursauta lorsque quelqu’un lui toucha le coude. Il se retourna et se rendit compte que Leonidas lui parlait. Il voyait ses lèvres bouger sans saisir le sens de ses paroles. Il baissa les yeux à nouveau. Lentement, son cerveau reprit le dessus. Tous les hommes mouraient, mais leur mission leur survivait. Il regarda autour de lui. Le soleil éclairait déjà l’horizon. L’entrée de la tombe était de nouveau ensevelie sous le sable. Ses hommes attendaient ses ordres.
    — Creusez un trou, dit-il. Nous allons enterrer Costis et Elena ici.
    De