Le Troisième Reich, T1
bénéficiait de considérables appuis financiers provenant d'une section
importante des milieux d'affaires allemands. On n'a jamais établi exactement
quelles sommes les banquiers et hommes d'affaires ont effectivement versées au
Parti nazi au cours de ces trois années précédant janvier 1933. Funk dit que
cette contribution ne représentait sans doute pas plus de « 2 ou 3 millions de
marks ».
Thyssen l'estime à 2 millions par an; il affirme que lui-même a
fourni 1 million de marks. Mais, si l'on en juge d'après les sommes importantes
que le parti avait à sa disposition à cette époque — bien que Gœbbels déplorât
toujours qu'elles fussent insuffisantes —, le total des apports provenant des
milieux d'affaires était certainement plusieurs fois supérieur à ces
estimations. La suite de ce récit montrera à quoi cela avança ces hommes
d'affaires qui avaient en ce qui concernait la politique des vues si puériles.
L'un des plus enthousiastes alors — comme il devait être plus tard l'un des
plus amèrement déçus — fut le docteur Schacht, qui démissionne de son poste de
président de la Reichsbank en 1930, à cause de son opposition au Plan Young. Il
fit cette année-là la connaissance de Gœring, celle d'Hitler en 1931 et, en
deux ans, consacra tous ses talents, qui n'étaient pas minces, à rapprocher
Hitler de ses amis de la banque et de la grosse industrie, et par-là même du
siège de chancelier.
En 1932, ce sorcier de l'économie, qui devait jouer un rôle
capital dans l'avènement du Troisième Reich et dans ses premiers succès,
écrivait à Hitler : « Je ne doute pas que l'évolution actuelle de la situation
ne puisse vous mener qu'à la Chancellerie... Votre mouvement est animé par une
vérité et une nécessité internes si fortes que la victoire ne saurait vous
échapper plus longtemps... Peu importe où mon activité peut m'entraîner dans un
proche avenir, même si un jour vous deviez me voir emprisonné dans une
forteresse, vous pourrez toujours trouver en moi un fidèle appui. » Une des
deux lettres d'où sont extraites ces déclarations était signée : « Avec un
vigoureux « Heil (16) ».
Une de ces « vérités internes si fortes » du Mouvement nazi dont
Hitler n'avait jamais fait secret, c'était que, si le parti venait au pouvoir
en Allemagne, il supprimerait aux Allemands toute liberté personnelle, y
compris au docteur Schacht et à ses amis hommes d'affaires. Il faudrait quelque
temps à celui qui allait bientôt redevenir grâce à Hitler président de la
Reichsbank, ainsi qu'à ses amis de la finance et de l'industrie, pour prendre
conscience de ce fait. Et comme cette histoire, comme toute l'Histoire, est
pleine d'une sublime ironie, le temps viendrait bientôt où le docteur Schacht
se révélerait bon prophète, puisque non seulement Hitler allait accéder à la
Chancellerie, mais que lui-même allait se retrouver prisonnier, sinon dans une
forteresse, mais dans un camp de concentration, ce qui était encore pis, et non
pas en tant que « fidèle appui » d'Hitler — là encore il s'était trompé —, mais
dans le rôle opposé.
Au début de 1931, Hitler avait maintenant rassemblé autour de
lui au sein du parti le petit groupe de fanatiques décidés qui allaient l'aider
dans son ultime assaut à la conquête du pouvoir et qui, à une exception près,
seraient à ses côtés pour l'aider à conserver ce pouvoir pendant toute la durée
du Troisième Reich; un autre encore, pourtant, qui était le plus proche de son
cœur, et peut-être le plus doué et le plus bestial de tous, ne devait pas vivre
au-delà de la seconde année du régime nazi. Ils étaient cinq à cette époque à
émerger du lot de ses partisans : Gregor Strasser, Rœhm, Gœring, Gœbbels et
Frick.
Gœring était rentré en Allemagne à la fin de 1927, à la faveur
d'une amnistie politique générale que les partis de droite, avec l'aide des
communistes, avaient réussi à faire voter au Reichstag. En Suède, où il avait
passé presque tout son temps d'exil depuis le putsch de 1923, il avait d'abord
fait un séjour à l'asile de Langbro, où on l'avait désintoxiqué et, ayant perdu
l'habitude de la drogue, il avait gagné sa vie en travaillant pour une
compagnie de navigation aérienne suédoise.
L'ancien as de guerre, qui avait été si bel homme, avait acquis
maintenant une certaine corpulence, mais n'avait rien perdu de son énergie ni
de son goût de la vie. Il s'installa dans
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