Le Troisième Reich, T2
Peut-être n’avait-il pas encore
compris, tandis que le sombre hiver s’étendait sur l’Europe, qu’une poignée de
pilotes de chasse anglais, contrecarrant ses plans d’invasion, avait préservé l’Angleterre
afin qu’elle pût être plus tard le point de départ de la reconquête du
Continent. Par force, ses pensées se tournèrent ailleurs ; en fait, comme
nous le verrons, elles avaient déjà accompli le tournant.
L’Angleterre était sauvée. Pendant près de mille ans, elle avait
réussi à se défendre par la maîtrise des mers. Juste à temps, ses chefs, en
dépit de toutes les bévues de l’entre-deux-guerres, avaient reconnu que la
puissance aérienne était un facteur décisif au XXe siècle et que le petit
chasseur et son pilote étaient le principal bouclier. Comme le dit Churchill
aux Communes dans son discours du 20 août, alors que la bataille faisait
encore rage dans le ciel et que son issue était douteuse, « jamais dans le
domaine des conflits humains tant d’hommes n’ont dû autant à si peu d’entre eux ».
SI L’INVASION AVAIT RÉUSSI…
L’occupation de l’Angleterre par l’Allemagne nazie ne se serait
pas passée en douceur, les papiers allemands saisis ne permettent pas d’en
douter. Le 9 septembre, Brauchitsch, commandant en chef de l’armée, signa
une directive stipulant que « la population anglaise mâle et valide entre
dix-sept et quarante-cinq ans sera, sauf si la situation locale demande une
exception, internée et expédiée sur le Continent ». A cet effet, des
ordres furent envoyés quelques jours plus tard par l’intendant général de l’O. K.
W. aux IXe et XVIe armées, groupées pour l’invasion. Dans aucun autre pays
conquis, pas même en Pologne, les Allemands n’avaient envisagé une mesure aussi
rigoureuse. Les instructions de Brauchitsch étaient intitulées : « Ordres
concernant l’organisation et le fonctionnement du gouvernement militaire en
Angleterre ».
Elles entraient dans les détails les plus minutieux et
semblaient destinées à assurer le pillage systématique de l’île et l’instauration
d’un régime de terreur. Un « état-major militaire économique pour l’Angleterre »
fut spécialement constitué le 27 juillet pour atteindre le premier objectif.
Tout devait être confisqué immédiatement, sauf les habituels stocks ménagers. Quiconque
collerait une affiche qui déplairait aux Allemands serait passible d’exécution
immédiate et la même peine était prévue pour ceux qui ne livreraient pas armes
à feu ou postes de radio dans les vingt-quatre heures.
Mais la vraie terreur devait être organisée par Himmler et les S.
S. La redoutée R. S. H. A [86] .,
sous les ordres de Heydrich, en fut chargée. L’homme désigné pour diriger sur
place ces activités était un colonel S. S., le professeur docteur Franz Six, un
de ces étranges « intellectuels » qui, au temps du nazisme, se
laissaient attirer par la police secrète d’Himmler.
Le professeur Six avait abandonné son poste de doyen de la
faculté économique de l’Université de Berlin pour rejoindre le S. D. d’Heydrich,
où il se spécialisa dans les matières « scientifiques ». Le sort
auquel les Anglais ont échappé en n’ayant pas le docteur Six chez eux peut être
illustré par sa dernière activité en Russie, où il travaillait dans les Einsatzgruppen
S. S ., qui se distinguèrent par les massacres massifs ; l’une des
spécialités du professeur était de « cuisiner » les commissaires
politiques soviétiques arrêtés avant de les exécuter [87] .
Le 1er août, révèlent les archives du R. S. H. A. saisies, Gœring
dit à Heydrich de se mettre au travail. La Police de Sécurité S. S. et le S. D.
(Service de Sécurité) devaient
… commencer leurs activités dès l’invasion militaire, de
façon à éliminer les nombreuses organisations et sociétés qui, en Angleterre, sont
hostiles à l’Allemagne.
Le 17 septembre – le jour même où Hitler avait repoussé l’invasion
à une date indéterminée, – Heydrich nomma formellement le professeur Six à son
nouveau poste en Angleterre. Il lui déclara :
Votre tâche est de combattre, avec les moyens requis, toutes
les organisations, institutions et groupes d’opposition qui peuvent être saisis
en Angleterre, d’empêcher l’enlèvement de tout matériel utilisable, de le
centraliser et de le conserver pour une exploitation ultérieure. Je désigne
Londres
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