Le Troisième Reich, T2
lui paraîtraient avoir de la valeur et de les y mettre en sûreté ».
Le Führer lui-même se réservait de décider de leur destination ultérieure (15).
Un ordre secret donné par Gœring le 5 novembre 1940 nous
donne une idée de ce que pouvaient être les décisions d’Hitler en la matière. Ces
œuvres d’art devraient être réparties comme suit :
1. Celles dont le Führer se réserve de fixer le sort ;
2. Celles… qui serviront à compléter la collection du
maréchal du Reich (Gœring) ;
3. Celles… qui paraissent appropriées à enrichir les musées
allemands (16). »
Le gouvernement français protesta contre ce pillage du
patrimoine artistique de la nation, déclarant que c’était une violation
flagrante de la convention de La Haye. Quand un expert d’art appartenant à l’organisation
Rosenberg, un certain Bunjes, se permit d’appeler l’attention de Gœring sur ce
point, le gros maréchal répondit :
« Mon cher Bunjes, laissez-moi le soin de m’inquiéter de
cela. Je suis le plus haut juriste de l’État. Seuls mes ordres comptent et vous
voudrez bien vous y conformer. »
En sorte que l’on peut lire sur un rapport de Bunjes – c’est la
seule mention qui soit faite de lui dans l’histoire du Troisième Reich, du
moins selon les documents que l’on possède :
Les objets d’art pris au musée du Jeu de Paume qui doivent
être remis au Führer et ceux que le maréchal du Reich réclame pour lui-même
seront embarqués dans deux wagons qui seront attachés au train spécial du
maréchal… pour Berlin (17).
Bien d’autres wagons suivirent. Selon un rapport officiel secret
d’origine allemande, quelque 137 wagons chargés de 4 174 caisses contenant
21 903 objets d’art, y compris 10 890 peintures, prirent le chemin de
l’Allemagne jusqu’au mois de juillet 1944 (18). On y trouvait entre autres des
œuvres de Rembrandt, Rubens, Hals, Vermeer, Vélasquez, Murillo, Goya, Vecchio, Watteau,
Fragonard, Reynolds et Gainsborough. Dès janvier 1941, Rosenberg estimait à un
milliard de marks l’ensemble des œuvres d’art pillées en France (19).
Les Allemands auraient pu trouver une excuse, sinon une
justification, au pillage des matières premières, des produits manufacturés, ou
alimentaires, encore que ces prélèvements eussent réduit les populations des
pays occupés à l’appauvrissement, à la faim, parfois même à la famine, au
mépris de la Convention de La Haye relative aux lois de la guerre. Nécessité n’a
pas de loi ! Mais le vol de ces œuvres d’art n’était d’aucune utilité pour
le fonctionnement de la machine de guerre hitlérienne. Il ne s’agissait plus
ici que de satisfaire la convoitise personnelle d’Hitler et de Gœring.
Les pays conquis auraient encore pu supporter tout ce pillage, toutes
ces spoliations – les guerres et l’occupation ennemie apportent toujours dans
leur sillage des privations, mais ceci n’était qu’une partie de l’Ordre Nouveau
– la plus anodine.
Ce n’est pas le pillage des biens matériels mais celui des vies
humaines qui rappellera le plus longtemps à la mémoire des hommes l’Ordre
Nouveau dont, heureusement, la durée fut courte. Des millions de femmes et d’hommes
innocents furent contraints au travail forcé, d’autres millions furent torturés
dans les camps de concentration et bien d’autres encore – les Juifs à eux seuls
fournirent 4 500 000 victimes – furent froidement massacrés, réduits
à mourir de faim et leurs restes brûlés pour effacer leurs traces.
Cette histoire atroce serait incroyable si des documents établis
par leurs auteurs eux-mêmes ne venaient en témoigner. Ce qui suit n’est qu’un
simple résumé, d’où ont été éliminés, faute de place, des milliers de détails
affreux. Les preuves n’en sont pas discutables et s’appuient du reste, à l’occasion,
sur les témoignages directs des rares survivants.
LE TRAVAIL FORCE
DANS L’ORDRE NOUVEAU…
A la fin du mois de septembre 1944, on estimait à 7 500 000
le nombre des civils étrangers qui peinaient pour le Troisième Reich. Presque
tous avaient été emmenés de force, déportés en Allemagne dans des fourgons à
bestiaux, le plus souvent sans nourriture, sans eau, sans la moindre
installation sanitaire, et ils avaient été mis au travail dans les usines, les
mines ou dans les champs. On ne se contentait pas de les faire travailler, on
les avait dégradés, battus, affamés et bien
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