Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
Vom Netzwerk:
prouesses les plus
invraisemblables. Ainsi, Escartille chantait, au milieu des lierres grimpants
et des bouquets de roses ; volage ou fidèle, il chantait, tantôt sous les
balcons fleuris, tantôt au milieu de festins dignes des anciennes orgies romaines.
    C’était cela, Puivert ; c’était l’entendensa
d’amor.
    Allons, bois, Escartille ! Bois
encore : tu vas en avoir besoin.
    Le troubadour termina d’un trait son verre de
vin.
    En ce jour de mai, la population du village
situé aux abords de Puivert fêtait le retour du printemps. C’était la fin de l’après-midi.
Un soleil éclatant brûlait les vignobles de la vallée. Paysans, tenanciers et
alleutiers achevaient leur journée. On empilait des bottes de foin, les hommes ahanaient,
les femmes chantaient. Certains remontaient vers le castrum avec
empressement, traînant leurs mules et leurs bœufs, guillerets à l’idée de la
fête qui les attendait et dont ils entendaient la rumeur venir jusqu’à eux. Au
loin, on devinait la cime des montagnes, les massifs de Saint-Barthélemy et des
Trois-Seigneurs, rubans déchiquetés de brun et de blanc sous le ciel. On
apercevait aussi la silhouette du pech de Montségur, où s’achevait la
construction d’un nouveau château du vertige.
    Escartille était attablé au milieu des
réjouissances. Derrière lui, les artisans travaillaient le vitrail, le cuir, les
bijoux ; plus loin, c’était la vannerie, la poterie, la sculpture. Les
habitants se disputaient canards et cochons de lait, perdrix et jambons, saucisses
et poulardes toulousaines. Entre les corbeilles de fruits qui coloraient ces
banquets, on trouvait aussi des fromages de chèvre, des crêpes, des gâteaux de
beurre et des pâtisseries de toutes sortes, buynettes parfumées à la fleur d’oranger
ou rousquilles aux amandes, qui passaient de main en main. Rien ne manquait, surtout
pas les vins, de Gaillac, du Roussillon et des Corbières, qui arrosaient ces
tablées comme autant de fontaines magiques. Une brise légère circulait au
milieu de ces mets alléchants. Les danseurs tournoyaient devant l’église et la
fontaine, où s’abreuvaient quelques chevaux. Harpes, luths, guitares, cors et
timbales : non loin, les musiciens s’en donnaient à cœur joie, dans une
furieuse cacophonie. Des femmes au drapé multicolore virevoltaient au son des
tambourins. Provisoirement délestés de leur sébile, des mendiants se
précipitaient pour se remplir la panse ; on les repoussait d’une claque ou
de la pointe d’un couteau. De l’autre côté de la place, des comédiens et des
jongleurs avaient monté leurs tréteaux. Ils commençaient à divertir le public :
leurs fabliaux mettaient en scène les paysans et les seigneurs, les maris et
leurs femmes, les évêques et les curés, les saints et les démons. La foule
riait. Entre deux saynètes, les amuseurs se livraient à leurs acrobaties et à leurs
tours de passe-passe, avec des pommes ou des couteaux.
    — Allons, bois, Escartille ! Bois
encore, tu vas en avoir besoin.
    — Taisez-vous, par pitié, lança le
troubadour à ses deux compères.
    Et il ajouta, d’un ton solennel :
    — Je crée.
    Son instrument posé non loin de lui, il
surveillait une tourelle, à l’angle de la rue des Vierges. Il attendait avec
impatience qu’Aurore de Pamiers, la dame de ses pensées, daignât montrer son
mouchoir à travers le vitrail losangé qui donnait dans le secret de sa chambre,
en haut du lierre. Escartille avait la voix bien claire, mais il lui faudrait
du coffre pour lui chanter les vers qu’elle lui avait inspirés, avec tout ce
brouhaha. Le moment était peut-être mal choisi : il redoutait les foudres
du sire de La Cornette, bourgeois de Puivert et époux d’Aurore, qui avait eu le
malheur, un soir, d’accueillir le troubadour sous son toit. Escartille savait
que La Cornette s’était absenté. Il ne pouvait résister au plaisir de profiter
de la fête pour séduire la belle, consignée en sa maison. Il était attablé avec
Gilles et Pérotin, deux autres charmeurs à la réputation de bandits. L’un, chauve
et rondouillard, avait un cou de taureau et un faciès mafflu ; l’autre, une
trogne allongée, des bras interminables, et le dos voûté – à force, sans doute,
de se baisser pour entrer dans les auberges où il avait coutume d’achever ses
nuits. En face d’eux, Escartille achevait sa composition, au milieu des
débordements de ripaille. De temps à autre, il portait

Weitere Kostenlose Bücher