L'ennemi de Dieu
d’épouser
Gwenhwyvach. » C’était, je crois, la vérité, car Gwenhwyvach serait sans
doute une femme honnête. Mais serais-je moi un bon mari ? C’était une
autre affaire, car ma seule raison d’épouser Gwenhwyvach était le rang et la
fortune que me vaudrait sa dot. La plupart des hommes ne se mariaient pas pour
autre chose. Et si je ne pouvais épouser Ceinwyn, que m’importait le choix de
ma femme ? Merlin ne cessait de nous mettre en garde. Il ne fallait pas
confondre mariage et amour. Et si cynique que fût son conseil, il y avait là un
fond de vérité. On ne me demandait pas d’aimer Gwenhwyvach, simplement de l’épouser,
et son rang et sa dot seraient ma récompense pour m’être bien battu en cette
longue journée sanglante de Lugg Vale. Quand bien même la moquerie de Guenièvre
ternissait ces récompenses, elles n’en restaient pas moins enviables. « J’épouserai
de bon cœur votre sœur, promis-je à Guenièvre dès lors que je ne serai plus
tenu par mon serment.
— Je prie
que tout se passe ainsi », répondit Arthur dans un sourire. Puis il se
retourna vivement en entendant un bruit au sommet de la colline.
Bors se tapit
avec sa lance. Lancelot se tenait à côté de lui, mais regardait en bas dans
notre direction, redoutant peut-être que l’animal ne filât entre nous. Arthur
repoussa délicatement Guenièvre et me fit signe de grimper sur la colline.
« Il y en
a deux ! nous cria Lancelot.
— Certainement
une laie », observa Arthur. Il fit quelques pas le long de la rivière et
reprit son escalade. « Où ça ? » Lancelot montra la direction
avec sa lance, mais je ne voyais toujours rien dans les broussailles
« Là ! »
fit Lancelot avec irritation, enfonçant sa lance dans un entrelacs de ronces.
Arthur et moi
fîmes deux pas de plus et aperçûmes enfin le sanglier au cœur de la broussaille :
un bon gros vieux animal avec des défenses jaunes, de petits yeux et des masses
de muscles sous son cuir balafré. Grâce à ses muscles, il pouvait se déplacer à
la vitesse de l’éclair et porter un coup fatal avec ses défenses aussi tranchantes
qu’une épée. Nous avions tous vu des hommes mourir de pareilles blessures, et
un sanglier n’était jamais plus dangereux que lorsqu’il se trouvait acculé avec
une laie. Tous les chasseurs priaient le ciel que le sanglier charge à
découvert, afin de profiter de sa propre vitesse pour lui enfoncer leur lance
dans le corps. Pareil affrontement nécessitait du cran et de l’habileté, mais
pas autant que lorsque c’était à l’homme de charger. « Qui l’a vu le
premier ? demanda Arthur.
— Mon
Seigneur Roi, répondit Bors en indiquant Lancelot.
— Alors
il est à vous. Seigneur Roi, conclut Arthur, abandonnant gracieusement à
Lancelot l’honneur de tuer la bête.
— Je vous
en fais cadeau, Seigneur », répondit Lancelot. Ceinwyn se tenait juste
derrière lui, se mordant la lèvre inférieure et ouvrant grands les yeux. Elle
avait pris la seconde lance de Bors : non qu’elle espérât s’en servir,
mais pour le soulager d’un poids, et elle la tenait nerveusement.
« Lâchons
les chiens sur lui ! » Guenièvre nous rejoignit, les yeux brillants,
le visage animé. Je crois qu’elle s’ennuyait souvent dans les grands palais de
Dumnonie et la chasse lui procurait l’excitation dont elle mourait d’envie.
« Tu vas
y perdre tes deux chiens, la prévint Arthur. Cet animal sait se battre. »
Il s’avança prudemment pour voir quelle était la meilleure manière de provoquer
la bête. Puis il donna un coup de lance pour dégager les ronces, comme s’il
voulait offrir au sanglier un moyen de sortir de son sanctuaire. La bête grogna
mais ne bougea point, pas même lorsque la pointe de la lance passa à quelques
centimètres de son groin. La laie était derrière lui et nous observait.
« J’en ai
vu d’autres, fit Arthur guilleret.
— Laissez-moi
faire, dis-je, soudain inquiet pour lui.
— Tu
crois que j’ai perdu mon tour de main ? » me répondit Arthur dans un
sourire. Il frappa de nouveau les ronces, qui ne voulaient pas s’aplatir. Le
sanglier ne bougeait toujours pas. « Les Dieux te bénissent », lança
Arthur à l’animal. Puis il poussa un grand cri et sauta dans les broussailles
tout en pointant sa lance en direction du flanc gauche du sanglier, juste avant
l’épaule.
Le sanglier
fit un petit mouvement de tête, un mouvement très léger, mais
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