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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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surmontaient un visage délicat aux yeux clairs. Un léger fichu glissait sur une épaule et laissait entrevoir un corsage délacé sur le devant. La présence d’une petite croix ne tempérait pas l’indécence de petits seins dévoilés. Un cordonnet serrait à la taille une jupe de coutil à fleurs. Des mules à talons de couleur rehaussaient la silhouette et complétaient le tableau offert. Il n’y avait pas à se tromper sur l’activité à laquelle l’apparition se vouait.
    — Mademoiselle, si vous m’en croyez, vous ne devriez pas traîner par ici.
    Elle eut une curieuse mimique, une moue et les yeux fermés.
    — J’sais ce que vous voulez dire, mais ça se produit pas deux fois au même endroit. C’est même une garantie. Tu peux me tutoyer, tu sais !
    — Justement, il y a eu deux filles de massacrées à cet endroit. Enfin… On a retrouvé leurs corps là-bas dans le chantier.
    — Deux ! Bigre, on m’avait prétendu qu’il n’y en avait qu’une.
    Elle s’approcha et se serra contre lui. Une bouffée de fragrance lilas enivra Nicolas.
    — V’là que j’ai peur, maintenant.
    Et de fait, il la sentit frissonner.
    — Allons, je vous conseille de rentrer chez vous. Il se fait tard. Où habitez-vous ?
    — J’ai une chambre tout près, rue d’Amboise, derrière la Comédie italienne.
    Elle prit l’air pitoyable d’une enfant capricieuse.
    — Ramenez-moi, je crains trop maintenant.
    Était-elle sincère ? Si quelque chose lui arrivait, quel remords serait le sien de ne pas lui avoir tendu la main. Il acquiesça en silence. Elle se pendit à son bras. Il ne parlait pas, mais elle causait pour deux, gazouillant à l’infini. Elle lui conta sa courte vie. Oh ! Elle était bien banale. C’était une histoire mille fois entendue. Orpheline très jeune et aussitôt en condition chez une lingère dont le mari l’avait mise enceinte. Chassée, elle était venue échouer à Paris. Une grande dame avait eu pitié d’elle et l’avait recueillie. Son enfant, un fils, était en nourrice en Champagne. Sa protectrice était morte. Ses héritiers l’avaient chassée et elle se trouvait à nouveau à la rue. Il lui fallait payer les frais de nourrice. Elle avait dû se résoudre à embrasser un état qu’elle n’avait pas choisi, mais qui s’était imposé à elle. Le lilas aidant, Nicolas fut frappé par la ressemblance de ce début d’existence avec celui d’Antoinette. Combien pour une femme il était facile de choir. Cette société était par trop cruelle avec des êtres dont le seul crime était leur faiblesse, proies toutes désignées de ceux qui détenaient l’autorité. Ils parvinrent devant la haute et étroite maison où elle demeurait.
    — Pour votre enfant, dit-il, en lui tendant quelques louis. Prenez bien soin de lui.
    Elle se haussa et lui claqua deux baisers sur les joues. Ce faisant, son corps se colla contre celui de Nicolas. Il la serra dans ses bras ; elle gémit à demi pâmée. Elle l’entraîna dans l’escalier. Ils poursuivirent leur étreinte jusqu’au grenier où elle le fit entrer dans une petite soupente propre et dépouillée. La lumière de la lune entrait par la lucarne et éclairait la modeste couchette où ils s’abattirent…
    Mardi 28 mai 1782
    Quand il se retrouva rue d’Amboise quelques heures plus tard, le jour n’était pas encore levé. La fille, dont il ne connaissait même pas le prénom, dormait encore alors qu’il s’échappait de la chambrette à pas de loup, après avoir laissé sur une page de son carnet une adresse où elle pourrait trouver un appui et un rouleau de louis supplémentaires pour la pension de son enfant. Son calme, sa sérénité le surprenaient. Nul remords ne le travaillait de ce court épisode. L’impression qu’il éprouvait était celle d’un retour en arrière, d’avoir vécu à nouveau un épisode de sa jeunesse. L’angoisse qui, la veille, l’oppressait avait disparu après cette nuit de tendresse. Quand il ressassait le cours de sa vie il mesurait soudain combien, depuis sa nourrice Fine à Guérande jusqu’à cette humble fille, les femmes lui avaient offert sans compter leur amour et leur compassion. À bien y réfléchir, avait-il suffisamment mesuré la force et les effets de leur soutien ? À chaque étape de sa vie, des filles galantes aux princesses, chacune avait apporté sa pierre à l’édificede son moi. Comme un sanctuaire nécessite, pour se dresser et durer, les

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