L'enquête russe
forlonger ton raisonnement, que tu dois prendre connaissance des autres documents. Il y a trois pages de chiffres incompréhensibles, des calculs ou des alignements de comptes sans aucune autre indication. Nos chiffreurs à Versailles n’ont rien décelé qui puisse faire penser à un code particulier. En revanche une page plus intéressante qui porte des abréviations et pour laquelle l’hypothèse la plus probable est qu’il s’agit d’une liste.
— Une liste de quoi ?
— Une liste de personnages, suivis à nouveau de chiffres qui pour le coup paraissent correspondre à des dettes ou à des versements.
— Voyons cela.
Bourdeau lui passa la traduction en français.
P 10 000 +
R ’ ‘’ +
A 5 000 +
PG 10 000 –
PG 150 000 –
P 10 000 +
JA 30 000 +
J 100 000 +
PG 150 000 –
— Oui… cela est étrange. Pourquoi ces plus et ces moins ? Quels noms dans notre ignorance de la Russie pouvons-nous mettre sur ces initiales ? Sommes-nous là devant un état de dettes ?
— Ou des versements dans un sens positif comme négatif.
— Peut-être.
— Et il n’y a pas que cela. Le commis des affaires étrangères chargé de la Russie m’a remis à ton intention, de la part de son ministre, une dépêche de notre ambassadeur, enfin un extrait, qui ne manque pas d’intérêt, d’autant plus qu’à Versailles on ne connaissait pas l’étendue complète du tableau.
— Je n’entends rien à ton propos ! Montre-moi cet extrait.
— La dépêche a été portée par des relais de chevaucheurs car sa partie politique devait être soumise à la connaissance du ministre dans les délais les plus brefs.
Nicolas lut avec intérêt croissant l’extrait rapporté par Bourdeau.
La récente disgrâce d’un officier des gardes que sa bonne mine avoit rendu familier de l’impératrice a forgé mille rumeurs. Il semble qu’il auroit été surpris en fâcheuse posture dans la chambre même de l’impératrice. Les échos du palais ont retenti d’une scène violente. Chassé, le coupable a quitté Pétersbourg sur ordre ou de son plein gré. On le présume, en dépit des faveurs déversées sur sa tête, criblé de dettes et dans la plus grande gêne.
Cependant, cette affaire vient d’être effacée par un accident qu’on peut appeler un véritable désastre public. Les boutiques de toutes les espèces sont ici rassemblées dans un quartier de la ville où ellesforment en quelque sorte une seule enceinte d’une étendue fort considérable. La nécessité d’établir promptement des marchands qui vendent les objets de première nécessité avoit déterminé à bâtir dans le premier moment toutes ces boutiques en bois dans l’intention de les reconstruire toutes en pierre. Le feu prit à une extrémité de ces maisons et la communication se fit avec une telle rapidité qu’à quatre heures tout le quarré étoit embrasé. Il souffloit alors un vent d’est assez fort qui portoit la flamme vers le quartier de la ville appelé Meschenski, et on ne peut savoir ce qui seroit arrivé si le malheur eût voulu que le feu se déclarât aussi de ce côté.
Les princes Repnin, Orloff, Potemkim, plusieurs généraux, les officiers des régimens des gardes ont accouru sur la première nouvelle qu’ils ont eue des progrès de l’incendie ; l’impératrice elle-même qui étoit revenue à la ville pour la fête du régiment des gardes d’Ismailofski s’est transportée sur les lieux ; Sa Majesté impériale a voulu prendre connaissance de la grandeur du mal en faisant le tour de tout le quartier embrasé ; elle a donné les ordres qu’elle a cru les plus convenables, mais l’incendie étoit d’une telle violence qu’aucun secours ne pouvoit être capable de l’arrêter. Il a continué toute la nuit, je ne crois même pas qu’il soit encore fini au moment que j’écris.
Cette tragédie fait beaucoup murmurer le peuple et ranime les braises d’une crainte qu’avoient suscitée, dans des conditions atroces, les meurtres de plusieurs filles galantes dans ce même quartier. Ces horreurs auroient récemment pris fin brutalement. L’incendie qu’on dit criminel et ces meurtres sont portés par certains religieux au débit de la conduite immorale de la souveraine. Tout cela pèse sur lesesprits ; la police enquête et s’efforce de faire taire faux bruits et critiques.
— Si nous n’apprenons presque
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