Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik Orsenna
Vom Netzwerk:
au Capitaine des capitaines, Celui qui règle les
mouvements de toutes les embarcations de l’Univers : Dieu Soi-même.
    Les églises étaient redevenues les lieux que devait
fréquenter celui qui voulait trouver rassemblées le plus grand nombre possible
de femmes. Au risque de cruels désappointements, de silhouettes qui, de dos,
paraissent prometteuses mais qui, se retournant, montrent un visage jaunâtre,
parcheminé, creusé par les ravines de la vieillesse. Après enquête, je sais que
ces éventualités sinistres étaient moins fréquentes à Lisbonne qu’ailleurs dans
la chrétienté. Les bateaux n’arrêtant pas de partir, éloignant, par le fait, un
flux toujours renouvelé de jeunes marins, leurs non moins jeunes épouses n’avaient
d’autre loisir que venir prier. Elles rejoignaient ainsi la collection d’épouses
elles aussi abandonnées, et de la même manière, tout au long des époques
précédentes, depuis qu’un certain Henri, maudit soit-il, avait été saisi par la
lubie de changer en navigateur un peuple jusqu’alors des plus casanier.
    À l’église se mêlaient donc tous les âges : il
suffisait d’aller y puiser celui qui correspondait à son attente.
    C’est à Sainte-Marie-Madeleine, haut lieu de concentration
féminine, que je rencontrai maître Júdice. Quel était le secret de cet homme ?
Certes il portait beau, son visage était noble et ses lèvres charnues disaient
sa gourmandise de toutes choses. Mais comment expliquer son invraisemblable
attrait ? À peine s’était-il agenouillé sur son prie-Dieu que la plupart
des femmes s’arrangeaient de mille manières – œillades, toux brutale,
missel laissé tombé – pour s’en faire remarquer. Et quand la messe était
finie, sur le parvis, elles se bousculaient pour lui prendre les mains, lui
effleurer l’épaule, lui toucher la joue, même. Elles minaudaient, vous vous
souvenez de moi  ?, le tançaient, méchant, vous m’avez oubliée ,
quémandaient, je peux venir vous voir, quand ? oh, s’il vous plaît !
    Il surprit mon regard envieux, sourit, se dégagea et vint
vers moi. Ma mine dut lui plaire, et les taches de couleur que j’avais au bout
des doigts.
    — Cartographe, n’est-ce pas ? Vous tombez bien. J’ai
peut-être un nouveau métier à vous proposer.
    Et, me prenant le bras, il m’entraîna jusqu’à la place de l’Infante,
à l’auberge du Vin Vert, où il semblait avoir ses habitudes.
    Je ne pus refréner plus longtemps ma curiosité.
    — Avec elles… Quelle est votre méthode ?
    — Je leur suis utile.
    Mes yeux durent briller, car il enchaîna :
    — Pas du genre que vous croyez. Du moins pas
directement. Je suis avocat, avocat de l’absence. Et toi, jeune homme, la
fornication ou l’exploration ?
    Je le regardai sans comprendre. Avec bonne humeur, patience
et méticulosité, il m’expliqua que, d’après son expérience, les hommes qui
aiment les femmes se répartissent en deux catégories : les fornicateurs et
les explorateurs. À l’évidence, certains fornicateurs ne dédaignent pas
toujours l’exploration. Et réciproquement. Mais ces deux familles sont d’essences
très distinctes : les fornicateurs jouissent seulement des corps, alors
que les explorateurs savourent d’abord l’intimité des femmes. Ils prennent
plaisir extrême et sans cesse renouvelé à surprendre leurs manières de vivre,
aussi différentes des nôtres que celles des sauvages antipodes nous fabriquons
ensemble des enfants, mais nous sommes comme le jour et la nuit. Pour sa part,
il appartenait franchement à cette dernière catégorie, se réjouissant follement
à savoir, par exemple, comment elles se coupent les ongles des pieds ou se
parfument les parties intimes et, surtout, comment elles parlent, entre elles,
de cette autre espèce d’humains : nous, les hommes.
    — Alors, cher nouvel ami, à quelle catégorie
appartiens-tu ?
    J’avouai ma terrible timidité, telle qu’il me faudrait sûrement
des siècles d’exploration avant d’oser m’accoupler à une femme qui ne serait
pas prostituée.
    — À la bonne heure ! Vous êtes donc de mon bord, l’exploration.
Je me cherchais un compagnon. Les rares hommes encore présents à Lisbonne
profitent de l’aubaine et courent de coït en coït sans se rendre compte que l’occasion
nous est donnée, comme jamais, de pénétrer dans le royaume des femmes. Voilà la
vraie Découverte ! Et pas besoin de caravelles !
     
    Ainsi

Weitere Kostenlose Bücher