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L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik Orsenna
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malgré son jeune âge, de Grand Navigateur »…),
Christophe fut autorisé à pénétrer dans l’enceinte protégée.
    Trois messes lui suffirent pour mener à bien son entreprise.
    À la première, sa haute taille et le feu de ses cheveux
firent sensation. Durant les six jours qui suivirent, les conversations des
pensionnaires allèrent bon train et surtout les interrogations naïves, car la
plupart d’entre elles n’avaient jamais rencontré de roux : cette chevelure
n’est-elle pas le signe de la présence d’un démon dans le corps ? Ces
taches de son qui parsèment son visage continuent-elles plus bas, sous sa
chemise, et plus bas encore, décoration qui ne doit pas manquer d’agrément ?
En tout cas, pourvu qu’il revienne ! On n’a pas si souvent l’occasion de
se divertir, chez les Saints !
    Lors de la seconde messe, les curiosités avaient changé de
nature. Andrea avait fait courir l’information que cet homme couleur de soleil
couchant avait décidé de fonder une famille et choisi ce couvent de haute
réputation pour y rencontrer la future mère de ses nombreux enfants. Si bien
que les regards portés sur lui se firent calculateurs, même chez les femmes
déjà mariées : admettons – Dieu me préserve de ce malheur – que
mon époux ne revienne pas, victime du cimeterre d’un infidèle, ce Génois
fiévreux ne pourrait-il pas me donner l’occasion inespérée de nouvelles noces ?
Quant aux toujours vierges, qui commençaient à trouver le temps long, et trop
fades et trop petits les prétendants portugais qui se succédaient dimanche
après dimanche, elles décidèrent de tenter leur chance.
    Au sortir de la troisième messe, suite à quelque bousculade,
une oiselle audacieuse s’approcha plus près que les autres, laissa tomber son
missel, que Christophe ramassa.
    Il revint, ravi, à l’atelier.
    — Si j’ai bien entendu, malgré le brouhaha, elle s’appelle
Filipa Moniz Perestrello. Quelle est cette famille ?
    Andrea mena l’enquête. On peut se demander pourquoi notre
patron mettait tant d’ardeur à aider Christophe. C’est qu’il voulait le garder :
un employé si savant des choses de la mer est une rareté. Et s’il parvenait à
le marier à Lisbonne, il aurait des chances de le retenir. Il nous fit
rapidement rapport.
    Rien de particulier du côté des Moniz, branche maternelle de
la belle Filipa : vieille et bonne noblesse, lignée sans tache de
serviteurs de la Couronne.
    Heureusement, l’histoire des Perestrello, famille
paternelle, portait en elle de tout autres richesses. Un gentilhomme de ce nom
quitte Piacenza (Italie) et, vers 1390, vient s’installer à Lisbonne. Le climat
lui convenant, il engendre quatre enfants. Richarte, l’aîné, entrera dans les
ordres et, malgré une existence particulièrement dissolue, deviendra prieur de
Santa Marina : deux garçons lui naîtront. Cette alliance intime du stupre
et de la religion semble avoir été la spécialité de ces Perestrello. Car les
deux sœurs de Richarte, Isabel et Branca, vont succomber en même temps au
charme de l’archevêque de Lisbonne, Dom Pedro de Noronha. Trois enfants
naîtront de cette double inconduite, tous reconnus par le saint homme, aussi
bon père qu’amant ardent…
    Telle fut la première partie de son rapport. Maître Andrea croyait
pouvoir reprendre haleine : le récit de ces dépravations l’avait épuisé.
Christophe ne lui laissa aucun répit.
    — Ils étaient quatre enfants. Il en manque un, si j’ai
bien compté.
    — C’est votre futur beau-père, prénommé comme votre
frère Bartolomé. Avant de dresser son portrait, guère reluisant, je tiens à
vous faire remarquer que si, par mariage, vous décidez d’entrer dans cette
famille Perestrello, vous deviendrez, par le fait, une espèce de beau-frère de
l’archevêque…
    — Continuez.
    Piètre Bartolomé, mon homonyme ! Il ne faisait rien de
sa vie que rôder sur le port. Christophe sursauta :
    — Et qu’y faisait-il ?
    — Est-ce que je sais, moi ? Ce qu’on fait sur les
quais : courir les femmes de mauvaise vie et glaner des histoires. Oui, c’est
ce qu’on m’a dit de lui : il avait le goût des secrets maritimes.
    Un beau jour il apprit de deux marins qu’ils avaient, dans
le nord de Madère, découvert une île au climat le plus doux et à la flore aussi
diverse que luxuriante. Bartolomé aussitôt s’en alla chez le Roi et se fit
nommer capitaine héréditaire de cette terre

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