L'envol des tourterelles
l’air, lui fracturant les jambes. M me Dufour le regarda retomber sur le fessier.
– Es-tu correct, mon ‘tit gars?
Stanislas ne répondit pas, tenta de se relever, ce qu’il réussit tant bien que mal, et se dirigea en frémissant vers la porte du bureau. Il s’y colla l’oreille et M me Dufour lui aurait fait la leçon si elle n’avait remarqué qu’il tremblait de tous ses membres.
– Es-tu sûr que t’es correct, mon ‘tit gars?
Stanislas recula jusqu’à elle et lui ordonna, d’une voix sèche et en chuchotant, de téléphoner à Jan.
– Y a quelqu’un avec lui. Ça devrait pas être long.
– Justement, appelez-le.
Jan regarda l’appareil qui sonnait et faillit sortir du bureau pour rappeler à M me Dufour qu’elle ne devait le déranger qu’en cas d’urgence. Au troisième coup, il s’excusa et décrocha, agacé.
– C’est lui, mon oncle.
– Quoi?
– C’est Casimir le Maudit.
Jan regarda l’homme assis devant lui, fit un sourire qu’il voulait complice et rassurant, raccrocha et se leva.
– Toujours pareil. Un dossier perdu. Excusez-moi, je reviens dans trente secondes.
Il marcha jusqu’à la porte, se demandant si son neveu était atteint de folie ou si le hasard avait lancé Casimir le Maudit directement dans son filet. Il referma la porte et vit que Stanislas était plus mort que vif. Il s’approcha de lui, lui fit répéter les raisons de son affolement et lui demanda une description de Casimir. L’homme que Stanislas lui décrivit était bien celui qui se trouvait dans son bureau, sauf que son visiteur disait s’appeler Josef.
– Non, c’est Casimir.
Jan sentit la colère l’envahir. C’était la première fois depuis près de vingt ans qu’il avait le souffle court et une démangeaison dans la poitrine et les poings.
– Appelle ton père et, quand il sera au bout du fil, passe-le-moi. On se comprend?
Il entra dans son bureau en riant aux éclats, après avoir mis une bonne minute à se calmer, la main sur la poignée.
– Sous le nez, le dossier! Sous le nez! Ah! Josef... Vous permettez que je vous appelle Josef?
– Évidemment. Entre Polonais, nous sommes frères. On m’a dit que vous étiez polonais.
– Oui, monsieur, mais j’ai changé de nom.
– C’est sûrement la meilleure chose à faire quand, comme vous, on est un important homme d’affaires.
– Important, important...
Jan attendait avec impatience que retentisse la sonnerie. Casimir-Josef continuait à parler.
– Si vous saviez ce que ça fait aux Polonais de voir un des leurs réussir. Je peux vous dire que moi je suis même flatté que vous ayez voulu me rencontrer et me serrer la main. Des patrons comme vous, ça n’existe pas.
– Il ne faudrait quand même pas exagérer.
– Je sais de quoi je parle, monsieur.
Jan sentit couler une gouttelette de nervosité le long de sa nuque. Il l’essuya et fut étonné de toucher à un col de chemise complètement mouillé. Il fallait bien que ce Casimir-Josef arrivât le jour où, pour la rencontre annuelle, il avait troqué ses vêtements habituels contre l’habit et la cravate.
– Vous permettez que je laisse tomber le veston? Je ne suis pas encore habitué à porter ces vêtements et il fait chaud.
– Je vous comprends. J’ai déjà moi-même porté la veste en Pologne, où je travaillais pour...
Casimir fut interrompu par la sonnerie du téléphone. Jan toussota avant de répondre, le cœur en chamade à l’idée d’entendre la voix de son frère.
– C’est Jerzy.
Jan respira profondément, ému en reconnaissant cette voix qui avait le même timbre que le soir où, à Cracovie, Jerzy était venu l’embrasser avant de partir pour le front.
– Stanislas me dit que Casimir est avec toi.
Jan tenta de rester calme encore quelques secondes, pour ne pas éveiller les soupçons de Casimir-Josef. Il parla donc d’une voix enjouée, tout en relâchant le nœud de sa cravate et en détachant le premier bouton de sa chemise.
– Oui, effectivement, nous avons tout ça. Notre entrepôt est assez grand pour recevoir, si les ententespeuvent être finalisées entre les provinces, quelques wagons de fret de bœuf de l’Ouest. Cela vous conviendrait-il?
Il posa la main sur le combiné et chuchota à Casimir qu’il s’agissait d’un appel interurbain. Ce dernier lui demanda par gestes s’il voulait qu’il sorte, mais Jan lui fit signe que non de la tête et de la main. Avec une discrétion étudiée, Casimir-Josef
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