L'envol des tourterelles

sortaient de table, elle eut un appétit que la nuit ne réussit pas à combler.

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    Un soir en rentrant de l’école, quelques jours après le début de ses cours, Stanislas avait été ébranlé par le revers de fortune qu’avait subi son père, volé par Casimir le Maudit, comme il l’avait baptisé. Pour la première fois, il avait parlé de son père en des termes nouveaux, taisant son inimitié et mettant en lumière le courage de Jerzy qui gardait la tête haute dans l’adversité. Jan l’avait écouté avec compassion, souriant parfois en reconnaissant en son frère celui qui ne voulait jamais user de violence mais qui pouvait assommer ceux qui menaçaient sa famille. Stanislas avait passé un hiver trouble, reparlant souvent de son père et annonçant d’emblée son intention de rentrer au Manitoba pour tout l’été afin de travailler aux champs.
    – Tu penses pouvoir tout faire sans moi?
    Jan avait acquiescé. En son for intérieur, il n’aurait pas compris que Stanislas ne volât pas au secours de son père et ne savait trop si Jerzy accepterait son aide s’il la lui offrait. Il avait été heurté dans ses valeurs profondes lorsqu’il avait appris que la trahison pouvait couver sous les dehors de la complicité et de l’amitié.
    – Tu devrais pourtant savoir, toi, un catholique polonais, que c’est ce qui a fait crucifier le Christ.
    Michelle n’avait cessé de le harceler pour qu’il aide son frère, mais Jan n’osait pas, craignant, avec raison,que Jerzy ne croie qu’il lui faisait la charité. Il passa des soirées à en discuter avec son père, lui demandant conseil.
    – Si je lui écris, il va déchirer la lettre, car, c’est certain, elle arrivera trop tard selon lui. Tu comprends, papa, nous ne nous sommes pas adressé la parole depuis dix-huit ans. Il va dire que je le regarde avec condescendance et qu’il n’a pas besoin de son cadet, dont il s’est fort bien passé jusqu’ici. Il a accepté que son fils habite chez moi parce que je suis son parrain, et qu’un parrain est ce qu’il y a de plus important après le père. Mon frère respecte sa parole. Mais maintenant, papa, Jerzy a vu son rêve de rentrer en Pologne s’envoler en fumée. Peut-être voulait-il se rapprocher de vous parce que je l’ai privé de sa famille? Si tu savais le nombre de fois que je me suis posé cette question. Qu’en penses-tu?
    Le printemps était arrivé et Stanislas achevait presque ses cours, cherchant toujours des indices qui auraient pu le mettre sur la piste du double jeu de Casimir le Maudit.
    – Cesse de te torturer, Stanislas. Ce qui est fait est fait, et ta décision d’aller l’aider cet été est la bonne.
    – Je veux faire plus que l’aider, mon oncle; je voudrais le venger.
    Jan fit une petite grimace et conseilla à son neveu d’oublier ses idées de vendetta, alors qu’il aurait été animé par le même sentiment si son père avait perdu la face devant tout un village et devant sa famille.
    Nicolas avait suivi toute l’histoire de la mésaventure de son oncle et trouvait que son père compliquaittout alors qu’il aurait été si simple de lui expédier de l’argent. Son père continuait de livrer les légumes légèrement défraîchis aux communautés religieuses et aux défavorisés, surtout les organismes d’immigrés polonais ou autres qui lui en faisaient la demande. Il avait d’ailleurs décrété que toutes les épiceries
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étaient dans l’obligation de faire de même. Il volait au secours de la veuve et de l’orphelin mais ne faisait rien pour son frère, ce qui scandalisait Nicolas, qui ne s’était nullement gêné pour lui faire connaître sa pensée en lui demandant si le slogan «Peace and love» ne concernait que les jeunes.
    – Explique-moi, papa. Tu as vu la guerre, mais tu n’es même pas capable de sortir le drapeau blanc. C’est peut-être ça la solution, papa. Envoie un drapeau blanc à ton frère. Il va comprendre.
    Jan avait été ébranlé par l’idée originale de son fils, mais il ne l’avait pas mise à exécution, persuadé que Jerzy renverrait le drapeau déchiré en lui disant s’en méfier. Jerzy avait vu des porteurs de drapeau blanc assassinés sous ses yeux au mont Cassin.
    Au début de juin, Jan présidait l’assemblée annuelle de son groupe. Il était assis devant les gérants de toutes les épiceries affiliées qui avaient choisi la bannière des épiceries
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. Certains avaient déménagé leur magasin