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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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regards les visages et les corps les plus dissemblables : six brunes au teint sombre, élancées, flexibles comme des rameaux de printemps, échevelées comme des ménades ; trois rousses aux chairs pâles, dont les tresses chargées d’anneaux et de grelots sautillaient sur les seins ou les épaules ; trois blondes potelées – deux peignées en couronne, l’autre, à la grosse crinière amassée en queue-de-cheval. Les brunes étaient vêtues de pourpre et de sinople, les rousses d’or et les blondes d’argent. « Vêtues si l’on veut », songea Tristan, car leurs robes de taffetas, sciemment tailladées, ne laissaient rien ignorer de leur personne. Elles s’éployaient ainsi comme de grandes fleurs, et les feux vermillon des unes brûlaient l’or et l’argent des autres, tandis que l’émeraude ondoyait, brisant ces alliances colorées à chaque roulement des taroles.
    Nul ne parlait. Seul le feu innocent crépitait et craquait. Plus la cordace prenait de l’impétuosité, plus les chairs s’exhibaient lors des vrilles fugaces. Toutes les tablées s’égayaient d’un pelage ou d’un sein entrevu. À défaut d’être au ciel, Angilbert était aux anges.
    – Qu’en penses-tu, Tristan ? demanda Bagerant.
    Il observait les filles une à une, et sans doute, dans leur harem, les princes mahomets avaient-ils eux aussi cette expression attentive et perplexe, ces mâchoires serrées, ces yeux terribles. Ses traits se durcirent : il regardait la blonde aux grands cheveux et, plus précisément, son escarcelle de velin gris. Le fond paraissait s’être teinté de rose.
    – Tu m’as en ton pouvoir, Naudon, mais mes pensées ne peuvent t’appartenir. Cependant, pour ce qui est de ce spectacle, je peux bien te les livrer : il me laisse froid. Je me résigne à voir ces jungleresses (271) puisque je ne puis m’éloigner. Je suis sous ta sujétion et m’y maintiens… Tu peux t’enorgueillir de me tenir en bride pour dix jours encore.
    La main d’Oriabel s’incrusta dans la sienne. Voyant leurs doigts se confondre, Bagerant eut un sourire de biais :
    – Il n’est de pire sujétion que le mariage.
    Tristan dédaigna l’opinion du routier. D’un sourire, il rassura son épouse et s’avisa de deux danseuses, deux brunes aux seins lourds et aux bouches lippues, joufflues, noiraudes comme des figues mûres. Soudain dressés, Creswey et Bertuchin les empoignèrent par leur abondante chevelure. Elles se libérèrent à grands coups de poing, suscitant dans l’assistance un tumulte de cris et de rires en défaveur des deux hommes.
    – De vraies Tard-Venues ! jubila Bagerant. Vois-tu, Castelreng, le seul moyen de survivre, céans, c’est d’accepter son sort comme elles l’ont accepté. Ce sont deux tendrons de Pont-Saint-Esprit… Elles avaient cru, les bêtes, au droit d’asile et s’étaient mussées dans l’église. Notre bon droit primant tous les autres, Creswey et son compain, Jean Hawkwood, Seguin de Badefol et Robert Briquet, qui avaient faim de Dieu et aussi de la Vierge, sont entrés dans le saint lieu leur goupillon prêt à l’office. Peu à peu, ces donzelles sont devenues des nôtres… Elles vivent et mangent bien ; leur corps est demeuré le même…
    – Non : souillé à jamais !
    – Oh ! Oh !… Quand mes amis les ont chevauchées, elles savaient déjà jouer des reins !… Sais-tu qui les avait forcées ?… Non, bien sûr : l’Archiprêtre…
    De sa main libre, Tristan interrompit le commentaire. Que lui importait qu’Arnaud de Cervole eût commis ces viols. Il le savait capable de tout.
    La musique, à présent, tournait à la douceur. Il y avait quelque chose de soyeux, d’alangui, dans les modulations des flûtes et les attouchements sur les peaux des taroles. Les filles mollissaient leurs gestes et gambades ; moins de bonds et sautillements, mais des glissements de pieds, de lents moulinets des bras brusquement interrompus, sur l’injonction des instruments, par une virevolte suivie d’une culbute qui les dénudait par le bas. Si elles riaient, tout en se redressant ; c’était d’un rire silencieux et terrible, le même rire insincère dans leurs faces différentes ; la même brillance dans leurs yeux moqueurs et résignés à la fois. Chauffées, semblait-il, aux feux des regards plus qu’à ceux de l’âtre et des luminaires, les chairs des rousses et des blondes, ointes de sueur, prenaient une teinte ambrée qui les assortissait

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