Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
s’ouvrait des chemins dans des suavités.
    Nulle autre femme qu’Oriabel n’eût pu lui inculquer à ce point cette certitude qu’elle était un don de la Providence et qu’en dépit des traverses et des adversités, leur vie serait riche de plaisirs de toutes tailles, couronnés par l’essentiel d’entre eux : la volupté. Parfois, quand la jouvencelle se coulait vers le lit sans plus de façons qu’une dryade en quelque secrète clairière, un frémissement de dilection, d’admiration et d’égoïsme – « Elle est mienne ! » – le parcourait avant qu’il ne l’eût rejointe. Elle était sa déesse. Par elle, l’appétence commune aux amants s’embellissait d’une vénération dont Oriabel se fut peut-être ébaudie, incrédule, s’il la lui avait révélée. Il mesurait combien, avant de la connaître, l’innocence d’aimer avait été le garant de cette tendresse dont il l’entourait d’autant plus hermétiquement que les menaces envers elle, envers lui, n’étaient en rien dissoutes. Par des comparaisons involontaires – et d’autant plus fugaces et importunes – il avait désormais la certitude que les sentiments qu’Aliénor lui avait témoignés n’étaient que des simulacres d’amour. Jamais il n’avait été suffisamment subtil pour percevoir dans ses abandons une volonté de possession qui, telles les ondes d’une pierre jetée dans l’eau, s’élargissait au-delà de leurs étreintes : jusqu’au château et terres de Castelreng. Ainsi, par la découverte de sa naïveté, comprenait-il pourquoi, après avoir jeté son dévolu sur lui, tout en lui suggérant d’imaginer l’inverse, Aliénor avait espéré, en le « te nant » juste ce qu’il fallait par les sens, le conduire au mariage.
    Il était moins naïf qu’Aliénor l’avait cru. Et que la Darnichot l’avait pensé ensuite. Cette gaupe, après l’avoir emprisonné longtemps pour qu’il fût éperdument épris de liberté, de nourriture, d’espace et… d ’elle -même, l’avait vu dédaigner ses pâtisseries aphrodisiaques et les appas de sa personne !… Niais, lui ? En avait-il l’apparence quand, accompagnant Orgeville et Salbris au Louvre ou à Vincennes, une femme lui adressait une œillade et un sourire empreints d’une éloquence putassière ? Ils pouvaient se gausser, mais comment, croyant au grand amour et attendant patiemment sa venue, se serait-il égaré dans des passades déshonnêtes ? Que lui eussent-elles apporté ? Aucun de ces prodiges dont son corps et son âme se trouvaient comme dévorés.
    Quelque sot, essané 64 ou bec-jaune qu’il eût pu paraître à des hommes affranchis de tout, il ne regrettait pas cette simplicité. Il l’avait définitivement perdue, en somme, à la façon d’un se cond pucelage, quand Oriabel perdait le sien. Bâti différemment – chair, cœur, esprit – il serait peut-être passé près d’elle sans la voir, ou, s’il l’avait vue, sans rien apercevoir d’autre qu’un visage ; il ne l’eût pas protégée chez Eustache et se fût peut-être ébaudi de sa mal aventure. Jamais ils n’évoquaient cette soirée autrement qu’en eux-mêmes, et tandis que les jours passaient, tandis qu’ils s’interrogeaient soit ensemble, soit intérieurement sur la pérégrination de Tiercelet, Tristan ne guérissait pas sa crainte de l’avenir en se disant que leur passion, quelque merveilleuse qu’elle leur parût, les préserverait du malheur si celui-ci figurait dans leur destinée.
    L’incertitude des lendemains le triboulait plus qu’Oriabel. Elle avait fait de lui une espèce d’archange, « mon saint Michel », disait-elle parfois sans savoir quelles images figées elle réanimait. Franchissant enlacés leur seuil, contournant le routier affecté à leur protection, ils accédaient deux à trois fois par jour au faîte du donjon semé de débris de toiture : tuiles rompues, émiettées, fragments pourris de poutres et de chantilles. Sans trop s’approcher des merlons, puisque le vide étourdissait la jouvencelle, ils regardaient plutôt qu’ils ne contemplaient la campagne assez plate aux entours de Brignais, jonchée, vers Lyon, de quelques boqueteaux, de rochers déboulés des parois des Barolles, et de quelques maisons dont il ne subsistait que des murs noirs. Alors s’engageait un dialogue muet, répétition de celui du premier jour, lorsque sur cette hauteur fouettée de vent, après avoir considéré certains merlons de

Weitere Kostenlose Bücher