Les Amazones de la République
chiraquie tout entière.
Jean-Claude Laumond rentra au service de Jacques Chirac le 6 juillet 1972. Tout à la fois coursier, majordome, confident et factotum, il tint le volant de celui à lâégard duquel il conserve, malgré ce quâil vécut comme un embastillement, une franche admiration. Quand Chirac était un jeune ministre de lâAgriculture, Laumond était un fou de « bagnoles » : une passion quâil partagea avec Jean-Louis Chodron de Courcel, le beau-père de Jacques Chirac, qui sâen allait chronométrer, avec lui, dans les rues de Paris les temps de parcours de notre Fausto Coppi.
Si Laumond se disait flatté à lâidée de conduire celui qui allait devenir un jour président de la République, il ne pensait pas rester aussi longtemps à ses côtés. Car sa véritable ambition était de devenir un jour pilote de formule 1 : des qualités de conducteur qui lui permettront de sortir, à plusieurs reprises, son « client » de quelques mauvais pas, comme nous le verrons. « Bernadette Chirac me disait toujours : si mon mari avait un chauffeur calme, cela ne lui irait pas », dit à lâauteur cette personnalité au tempérament sanguin, qui conduisait plus de soixante heures par semaine, sillonnant Paris et les routes de France à tombeau ouvert.
Durant de longues années, Laumond eut ainsi la haute main sur le parc automobile de Jacques Chirac, dont il supervisait, avec Marie-France Garaud, nombre dâaspects techniques, lors de ses voyages à lâétranger ou de ses déplacements en province. Câest ainsi quâil négocia, avec Citroën, le prêt dâune flottille de berlines prêtées par le constructeur. Non seulement pour la mairie de Paris, dont Jacques Chirac était alors le locataire, mais également pour le RPR et ses notables. Si bien que ce chauffeur de fonction, qui aurait dû rester un obscur fonctionnaire de la Ville, rattaché à une administration pléthorique, sâinsinua peu à peu dans la mécanique de décision dâun homme politique, dont il eut à gérer, à plus dâune occasion, des pans entiers de lâintimité.
Devenu selon les circonstances et occasions confessionnal, cabine téléphonique, bureau ou boudoir, lâhabitacle de sa CX constituait un monde à lui seul. Chirac installé à lâarrière, Laumond se mettait en congé du reste du monde. Et au service, comme à lâécoute, de celui qui, brisant lâarmure, desserrait alors sa cravate, déboutonnait le col de sa chemise. Et sâabandonnait à son jeu favori : la comptabilité et lâentretien de ses nombreuses conquêtes : une activité à part entière et chronophage. Chirac tel quâen lui-même : à midi, lâégal dâun Clinton dialoguant avec les grands de ce monde. à minuit, un chaud lapereau inépuisable, otage consentant dâun agenda quâil écaillait avec application, afin dâen dégager des plages entières, toutes consacrées à ses cavalcades amoureuses. Toute sa vie, Chirac aura foncé, ne renonçant jamais à rien : il vécut aux côtés dâune épouse au dévouement monacale, tout en sâenivrant dâaventures extraconjugales. Et fit de ce cocktail aphrodisiaque â pouvoir, amour et sexe â tout simplement un art de vivre.
Libéré de ses obligations et tenaillé par cent désirs mêlés, Jacques Chirac en venait à oublier jusquâà lâexistence de celui qui regardait droit devant lui : gardant une oreille attentive vers lâarrière du véhicule, ce chauffeur nâignorait rien, pour autant, de la vie privée de son infatigable patron. Pendu à son téléphone, Chirac se tricotait des cinq à sept sur mesure, passant dâune maîtresse à lâautre : une maille à lâendroit, une maille à lâenvers. Ayant achevé sa conversation et organisé sa fin dâaprès-midi, il lançait alors à son fidèle destrier : « Allez, Laumond, pied au plancher, on fonce ! » Et, tel Bourvil et de Funès dans La Traversée de Paris , nos deux compères partaient en goguette. à chacun sa topographie : à Laumond, les rues de la capitale, et à Chirac, les courbes de
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