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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E. J. Hobsawm
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chez qui cette distinction ne joue pas.
    Comme le bandit social n’est pas un criminel, il n’a aucune
difficulté à rejoindre sa communauté pour en devenir un membre respecté lorsqu’il
cesse d’être hors-la-loi [69] .
Les documents sont unanimes sur ce point. À vrai dire, il arrive qu’il ne la
quitte jamais. Il est susceptible, dans la plupart des cas, d’opérer sur le
territoire de son village ou de sa famille, qui l’entretient par sens du devoir
familial et aussi pour des raisons de simple bon sens : en effet, si on ne
le nourrissait pas, ne serait-il pas dans l’obligation de se transformer en
brigand ordinaire ? Un historien vivant sous la monarchie des Habsbourg et
un fonctionnaire de la République française l’affirment avec une égale
conviction à propos de la Bosnie et de la Corse : « Mieux vaut les
nourrir que de les voir voler [70] . »
Dans les régions reculées et inaccessibles, où les agents de l’autorité ne font
que des raids occasionnels, il arrive que le bandit vive à l’intérieur même du
village, sauf quand la police est signalée ; c’est le cas dans les régions
désertiques de Calabre ou de Sicile. Et dans les fins fonds de l’arrière-pays, où
la loi et le gouvernement n’ont pratiquement laissé aucune trace, le bandit
peut être non seulement toléré et protégé, mais même, comme souvent dans les
Balkans, un membre influent de la communauté.
    Prenons le cas d’un dénommé Kota Christov, de Roulia, qui
opérait au cœur de la Macédoine à la fin du XIX e siècle.
C’était le chef de bande le plus redouté de la région, mais en même temps le
citoyen le plus éminent de son village dont il était le chef incontesté et où
il exerçait, entre autres, les fonctions de boutiquier et d’aubergiste. Au nom
du village, il résistait aux propriétaires terriens du coin (généralement des
Albanais) et défiait les fonctionnaires turcs qui venaient réquisitionner de la
nourriture pour les soldats et les gendarmes, avec qui il passait des journées
entières et qui ne le gênaient en rien dans ses activités. Comme il était très
pieux, il allait toujours s’agenouiller, une fois ses exploits accomplis, devant
l’autel du monastère byzantin de la Sainte-Trinité, où il pleurait les
chrétiens de toute obédience qui avaient été inutilement massacrés, à l’exception,
vraisemblablement, des Albanais, quelle que fût leur religion [71] . Il va de soi que
Kota n’était pas un simple brigand. Si l’on utilise des critères idéologiques
modernes, on voit que sa ligne de conduite fut loin d’être ferme – il combattit
d’abord pour les Turcs, puis pour l’Organisation révolutionnaire macédonienne
interne, et plus tard pour les Grecs –, mais il défendit systématiquement les
droits de « son » peuple contre l’injustice et l’oppression. En outre,
il semble avoir établi une distinction très nette entre les attaques permises
et les attaques interdites, soit par sens de la justice, soit pour des raisons
de politique locale. C’est ainsi qu’il exclut deux des membres de sa bande pour
avoir tué un certain Abdin Bey, bien qu’il eût lui-même supprimé un certain
nombre de tyrans locaux. La seule raison pour laquelle il est impossible de le
considérer purement et simplement comme un bandit social, c’est que, vu la
situation politique de la Macédoine turque, ce n’était pratiquement pas un
hors-la-loi, tout au moins la plupart du temps. Là où l’emprise du gouvernement
et des seigneurs était faible, Robin des Bois était unanimement reconnu comme l’un
des chefs de la communauté.
    Tout naturellement le champion du peuple doit être, selon
les critères locaux, non seulement honnête et respectable, mais en tout point
admirable. L’« image » de Robin des Bois insiste, comme nous l’avons
vu, sur ces actions moralement positives qui consistent à voler les riches et à
ne pas commettre trop de meurtres, mais elle met aussi l’accent sur les
attributs moraux qui sont ceux du citoyen bien considéré. Les sociétés
paysannes distinguent très nettement entre les bandits sociaux qui méritent, ou
sont censés mériter, cette approbation morale, et ceux qui, quelle que soit
leur réputation, la crainte et même l’admiration qu’ils inspirent, n’en sont
pas dignes. Plusieurs langues ont même des mots différents pour désigner ces
divers types de brigands. De nombreuses ballades se terminent par l’image

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