Les Bandits
c’est-à-dire
les bandits-guérilleros du roman
Au bord
de l’eau
[121] .
Qui plus est, il les recruta systématiquement. N’étaient-ils pas des
combattants et, à leur manière, des combattants ayant une conscience sociale ?
Les « Barbes rousses », cette redoutable organisation de voleurs de
chevaux qui florissait encore en Mandchourie dans les années 1920, interdisaient
à leurs membres d’attaquer les femmes, les vieillards et les enfants, mais les
obligeaient à attaquer tous les fonctionnaires et les personnages officiels, avec
néanmoins cette nuance : « Si un homme a une bonne réputation, nous
lui laisserons la moitié de ses biens ; s’il est corrompu, nous les
prendrons tous. » Il semble qu’en 1929 le gros de l’Armée rouge de Mao ait
été composé de ces « éléments déclassés » (c’est-à-dire, pour
reprendre sa propre classification, de « soldats, bandits, voleurs, mendiants
et prostituées »). Qui, sinon les hors-la-loi, était susceptible de courir
le risque de s’engager dans une formation de hors-la-loi ? « Ces gens
se battent avec beaucoup de courage, avait observé Mao quelques années plus tôt.
Bien dirigés, ils peuvent devenir une force révolutionnaire. » Le
devinrent-ils ? Nous l’ignorons. Ce qui est certain, c’est que dans une
certaine mesure ils donnèrent à la jeune Armée rouge une « mentalité d’aventuriers
insurgés », bien que Mao eût l’espoir que cette mentalité puisse être
supprimée par une « éducation intensifiée ».
Nous savons désormais que la situation était plus compliquée
que cela [122] .
Les bandits et les révolutionnaires se respectaient mutuellement en tant que
hors-la-loi confrontés aux mêmes ennemis et, le plus souvent, les Armées rouges
qui battaient la campagne n’étaient pas en mesure de faire plus que ce qu’on
attendait traditionnellement des bandits sociaux. Toutefois, ils ne se
faisaient pas confiance pour autant. On ne pouvait guère compter sur les
bandits. Le Parti communiste ne cessa de considérer He Long, un chef bandit qui
devint général, et ses hommes comme des « bandits » susceptibles de
déserter à tout moment, jusqu’à ce que ce dernier rejoigne le Parti. Il est
possible d’attribuer en partie cette méfiance au fait que le style de vie d’un
chef de bande prospère ne correspondait guère aux attentes puritaines des
camarades. Quoi qu’il en soit, s’il peut arriver que des bandits ou, plus
rarement, un chef se convertissent à titre individuel, le banditisme
institutionnalisé peut, contrairement aux mouvements révolutionnaires, se
satisfaire du pouvoir en place tout autant qu’il peut le rejeter. « Traditionnellement,
[le banditisme chinois] constituait l’étape rudimentaire d’un processus qui
pouvait mener, si les conditions le permettaient, à la formation d’un mouvement
rebelle qui avait pour but de gagner le “mandat Céleste”. En soi, cependant, il
ne s’agissait pas d’une révolte et moins encore d’une révolution. » Le
banditisme et le communisme se sont croisés, mais leurs chemins divergeaient.
La conscience politique peut bien sûr transformer le
caractère des bandits. Les guérilleros communistes de Colombie comptent dans
leurs rangs (mais ce n’est très certainement qu’une petite minorité) un certain
nombre de combattants issus des brigands-guérilleros de l’époque de la
violencia
.
Cuando bandoleaba
(« quand j’étais bandit ») est
une phrase que l’on peut entendre dans les conversations et les réminiscences
qui occupent une bonne partie du temps d’un guérillero. La phrase elle-même
indique la prise de conscience d’une différence entre le passé d’un homme et
son présent. Cependant, Mao était probablement trop optimiste. Pris
individuellement, les bandits peuvent facilement s’intégrer aux unités
politiques, mais, sur le plan collectif, tout au moins en Colombie, il s’est
révélé qu’il était presque impossible de les assimiler aux mouvements de
guérilla d’extrême gauche.
De toute façon, en tant que bandits, ils n’avaient qu’un
potentiel militaire limité, et leur potentiel politique l’était encore bien
davantage, comme le montrent les guerres de brigands dans l’Italie du Sud. L’unité
idéale était de moins de vingt hommes. Les chansons et les récits populaires
faisaient une place particulière aux
voïvodes
haïdoucs
qui dirigeaient une bande plus nombreuse, et, en
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