Les chevaliers du royaume
homme… N’est-ce pas ce que vous vouliez faire d’Olivier ?
Massada ne répondit pas. Mais il était évident qu’il taisait un secret.
— Ils sont là, seigneur, annonça un Templier blanc.
— Bien, répondit Châtillon. Quand Ridefort et la Vraie Croix seront dans la cour du château, vous baisserez les herses.
*
Crucifère brillait.
Chaque fois qu’il y avait du danger, Crucifère brillait. Taqi ne se lassait pas de regarder cette épée, la plus belle, la plus équilibrée qu’il ait jamais eue en main. Non, il ne regrettait pas de l’avoir prise à Morgennes, d’autant moins que Sohrawardi la convoitait lui aussi. Jamais il n’aurait pu chevaucher en paix s’il avait su que le Maître des djinns étudiait l’épée, à la recherche de ses secrets. L’histoire était pleine de ces lames enchantées. Certaines avaient leur personnalité, ce qui était le cas de Crucifère.
Le château était maintenant à portée de voix. Levant la main, Taqi ordonna la halte. Les hommes du Yazak obéirent instantanément, adoptant l’exacte position des vrais Templiers à l’arrêt. Puis, ainsi qu’il l’avait déjà fait près de cinquante fois, Taqi se tourna vers Gérard de Ridefort et lança :
— À vous !
Ridefort fit faire quelques pas à sa monture. Quand il fut certain d’être en vue des murailles du château, malgré l’obscurité, il appela :
— Par Notre Dame toute-puissante ! Par le Christ ! Beaux doux frères, écoutez-moi !
— Annoncez-vous et dites à qui vous voulez parler ! fit une voix tombant du château.
— Je suis votre maître, Gérard de Ridefort, et je veux parler au commandeur de La Fève !
— Parlez, fit la voix, sur un ton neutre, nullement impressionnée par ses déclarations.
Ridefort se tourna vers Taqi ad-Din, qui avait remis la main sur le pommeau de Crucifère, cherchant à deviner ce que l’épée ressentait. Il demeurait intimement persuadé qu’un piège leur était tendu. Voyant que Ridefort attendait ses instructions pour continuer, Taqi lui fit un petit signe de la main, et l’ancien maître des Templiers déclara :
— Beaux seigneurs, au nom du Christ tout-puissant, au nom de Notre Sainte Dame, et en mon nom à moi, je vous commande de quitter ce château, immédiatement !
Il n’y eut pas de réponse.
Ridefort, voyant que ses paroles restaient sans effet, demanda à Taqi l’autorisation de brandir la Sainte Croix. En de rares occasions, ils avaient dû user de son autorité. À sa vue, le plus souvent, les Templiers se rendaient. Parfois, il fallait se battre. Mais c’étaient des combats faciles, contre des garnisons amoindries, démoralisées et sous-équipées. Chaque fois, cela avait été un massacre.
— Par la très sainte relique de la Vraie Croix, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, je vous ordonne de sortir et de vous joindre à nous ! C’est le Christ qui commande !
En son for intérieur, Ridefort se demandait pourquoi Taqi ne donnait pas l’ordre à ses troupes de pénétrer dans le château, puisque les herses étaient levées. Redoutait-il un traquenard ? Enfin, voyant que rien ne bougeait à l’intérieur de la forteresse, et quelque peu honteux, Ridefort dit à Taqi :
— Seigneur, ils ne m’écoutent pas… Je pense qu’il faut pénétrer dans la place…
— Les voici, répondit laconiquement Taqi.
En effet, une dizaine de chevaliers sortirent à pied d’al-Fûla, tenant leur cheval par la bride. Une vingtaine de frères sergents et autant d’auxiliaires suivaient.
Déjà, les hommes du Yazak se pressaient autour d’eux pour les désarmer. Celui qui était à leur tête s’approcha de Ridefort :
— Il n’y a plus personne, beau doux maître… De toute façon, ajouta-t-il, de la tristesse dans les yeux, nous n’aurions pu tenir longtemps…
— Je suis venu vous délivrer ! s’exclama Ridefort.
Le commandeur lui jeta un regard étrange, puis se dirigea vers ses hommes, plus bas sur la route, au pied d’al-Fûla. Il croisa en descendant les soldats du Yazak, qui montaient vers La Fève, où Ridefort, Tughril et Taqi venaient d’entrer.
Le gros des troupes du Yazak avait à peine franchi la barbacane que les herses s’abattirent avec un bruit d’enfer. Celle du château écrasa dans sa chute un cavalier et sa monture. L’homme et la bête embrochés se débattirent avec une telle énergie, poussèrent des cris si effrayants, qu’on leur souhaita de mourir
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