Les cochons d'argent
habitaient en Bithynie et que ma tante était encore une enfant, oncle Publius lui a appris à conduire son char. (J’avais du mal à le croire : Aelia Camilla avait l’air si digne.) Vous connaissez oncle Gaïus : un homme d’une gentillesse incroyable, et il ne dit pas non à un peu d’aventure. Mais dans son genre, il est assez collet monté. (Je m’en étais aperçu.) Il trouve qu’Aelia Camilla conduit trop vite. D’ailleurs, c’est elle qui m’a appris.
J’inclinai la tête en arrière et soupirai gravement en regardant le ciel.
— Ce cher Gaïus a bien raison.
— Ne soyez pas ingrat, Didius Falco. Vous étiez dans un triste état, il fallait bien que je me dépêche – et vous ne couriez aucun danger !
Oubliant un instant son personnage, elle brandit un poing et fit mine de me boxer au visage. J’interrompis son geste en lui attrapant gentiment le poignet.
J’attirai légèrement son bras pour faire apparaître la paume de sa main. Je plissai les narines pour mieux sentir ce parfum qui avait attiré mon attention. Son poignet était ferme et ne portait ce soir-là aucun bijou. Comme moi, elle avait la main froide. Cette senteur demeurait dans l’air – cela faisait penser à de la cannelle, mais avec une résonance plus profonde. Les rois parthes revenaient à la charge…
— Voilà des effluves qui ne manquent pas d’exotisme…
— Cela vient de Malabar… (elle tentait faiblement de se dégager), des Indes. C’est une relique extrêmement chère de mon ex-mari.
— Quelle générosité !
— C’est surtout un beau gâchis : le rustre n’y a jamais fait attention.
— Il avait peut-être un rhume dont il n’arrivait pas à se défaire, la taquinai-je.
— Pendant quatre ans !
Elle se mit à rire de bon cœur. J’aurais pu la laisser partir. N’en voyant pas la nécessité, je me penchai pour humer sa paume une nouvelle fois.
— Malabar ! Délicieux… Je ne connais rien de plus enchanteur. On ne l’aurait pas volé aux dieux ?
— Non, cela provient d’un arbre.
Je la sentais se contracter, mais elle était trop fière pour demander que je la libère.
— Quatre ans… Vous vous êtes donc mariée à… combien, 19 ans ?
— Dix-huit. J’étais bien assez mûre… J’ai été moins tenace que son rhume !
— Il a perdu au change, remarquai-je galamment.
Quand les femmes me confient leurs petites histoires, je ne me prive pas de leur prodiguer mes bons conseils :
— Vous devriez vous moquer de lui un peu plus.
— Ou de moi-même !
Seul un obsédé aurait tenté de lui embrasser la main. Je la reposai avec soin sur ses genoux.
— Merci, fis-je doucement, la voix altérée.
— Et pourquoi donc ?
— Quelque chose que vous avez fait un jour pour moi.
Nous sommes demeurés assis là, silencieux. Je m’étirai en arrière, allongeai les jambes et passai une main sur mes côtes endolories. Je me demandai quel genre de jeune femme avait pu être Helena avant que le riche imbécile renifleur ne la rende si agressive envers les autres. Tandis que je rêvassais, les étoiles firent leur apparition parmi les masses de nuages qui traversaient le ciel. Derrière nous, le brouhaha de la taverne s’était amoindri, alors que la clientèle profitait d’un temps mort, entre les goinfreries du repas et les beuveries à venir, pour raconter des histoires cochonnes dans une bonne douzaine d’idiomes. Les carpes sautaient dans leur bassin avec un regain d’énergie. Le périple touchait à sa fin, il ne restait plus qu’à attendre notre navire. Ce jardin, cette jeune femme intelligente pleine de répondant… tout prêtait à la réflexion.
— Mars Ultor… Je touchais presque au but… Si seulement j’avais pu trouver comment les lingots étaient acheminés !
Je me parlais à moi-même, je n’attendais pas de réponse.
— Falco, commença Helena, hésitante, vous vous souvenez de cette journée où je me suis rendue sur la côte, quand je suis rentrée énervée…
Je gloussai.
— Un jour comme les autres !
— Écoutez, je ne vous ai pas tout dit. On chargeait sur un bateau des objets en argile. Des quantités d’ustensiles – gobelets, bols, bougies, pieds de table sculptés représentant des otaries rieuses… De véritables horreurs, on se demande qui en voudrait ! D’autant que ça s’effrite dès qu’on oublie de les huiler…
Je grimaçai de gêne en me rappelant le plateau que j’avais
Weitere Kostenlose Bücher