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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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mer aujourd’hui,
    j’étais sanglier autrefois.
    J’ai d’abord vécu dans la troupe des cochons,
    et me voici maintenant dans celle des oiseaux… »
     
    « Voici une bien étrange histoire, dit Finnen. Et
comment se fait-il que tu sois maintenant un homme comme tous les autres ?
– Les desseins de Dieu sont imprévisibles, répondit le vieillard, car l’avenir
n’appartient qu’à lui. Sache en tout cas que c’est sous ces formes animales que
j’ai pu survivre à tous les peuples qui avaient envahi cette île. J’ai vu
également l’arrivée des Fils de Milé et leur lutte contre les tribus de la
déesse Dana. J’étais alors en cette forme d’oiseau, dans le creux d’un arbre,
près d’une rivière.
    « Le sommeil m’alourdit pendant neuf jours, dont je me
réveillai sous l’aspect d’un saumon. Je me précipitai dans la rivière et je me
mis à y nager. Je me sentais bien, j’étais actif, très rapide, sautant à
travers les rochers et remontant vers les sources. Grâce à mon habileté,
j’échappai longtemps à tous les périls, aux mains des pêcheurs armés de filets,
aux serres des oiseaux de proie qui tentaient de me saisir, aux javelots que
les chasseurs lançaient sur moi, aux loutres qui me poursuivaient à travers les
torrents.
    « Mais, un jour, un pêcheur me prit, qui m’offrit en
cadeau à la femme de Carill, le roi de ce pays. Je me souviens très bien de
cela. Le cuisinier me mit sur un gril, pour me rôtir au-dessus d’un feu de
branches sèches. La femme du roi qui passait par là au même moment eut envie de
moi. Elle me dévora tout entier. Et je fus en son ventre. Je me souviens
parfaitement du temps où je me trouvais dans le ventre de la femme de Carill.
Je me souviens aussi que je naquis une nouvelle fois sous une forme humaine
grâce à la femme de Carill. Je me mis alors à parler comme tous les autres
hommes, et je fus capable de révéler tout ce qui s’était passé en Irlande
depuis l’époque du déluge. Et c’est depuis ma nouvelle naissance qu’on m’a
donné le nom de Tuân, fils de Carill. »
    « Très bien, dit Finnen. Maintenant, nous pouvons te suivre
jusqu’à ta demeure, puisque tu nous y offres généreusement l’hospitalité pour
racheter l’inconduite et la méchanceté des habitants de ce pays. »
    Tuân, fils de Carill, conduisit donc Finnen et ses disciples
à sa demeure qui s’élevait sur une butte d’où l’on dominait l’estuaire. C’était
une maison royale, entourée d’un mur et d’une palissade, et que gardaient
quelques guerriers en armes. Tuân fit entrer ses hôtes, mais quand il voulut
les convier dans la salle des festins, Finnen lui dit :
    « Nous sommes dimanche et nous n’avons pas encore rendu
hommage au Seigneur. Nous ne prendrons aucune nourriture et nous n’avalerons
aucun breuvage avant d’avoir accompli nos devoirs. – C’est facile, répondit
Tuân. Il y a ici un enclos de prière. Viens avec tes compagnons et fais ce qui
doit être fait. »
    Quand Finnen et ses disciples eurent célébré l’office du
dimanche, ils suivirent Tuân dans la salle des festins. Tuân avait demandé à
ses serviteurs de faire cuire la nourriture dans un grand chaudron, sur le
foyer qui se trouvait au milieu de la salle. Tout autour étaient répandus des
joncs et de la paille fraîche. Finnen, ses compagnons et Tuân, fils de Carill,
s’assirent en rond autour du foyer.
    « Prenez et rassasiez-vous, dit Tuân. – Par Dieu
tout-puissant ! s’écria Finnen, nous ne prendrons aucune nourriture et
nous n’avalerons aucun breuvage tant que tu n’auras pas commencé à nous
raconter ce qui s’est passé dans ce pays depuis le déluge. Sois un hôte sans
reproche et dis-nous tout ce que tu sais. Ainsi serons-nous à même d’apprécier
ta générosité en même temps que la connaissance que tu as de l’histoire du
monde. – Bien volontiers », répondit Tuân.
    Alors, il entreprit le récit des cinq invasions qui
s’étaient produites en Irlande depuis l’époque lointaine du déluge. Et, tandis
que ses hôtes mangeaient et buvaient, l’homme des anciens jours parlait. Et les
disciples de Finnen écoutaient ce qu’il disait. Ce sont eux qui, plus tard,
racontèrent tout cela à leurs propres disciples qui le transmirent eux-mêmes à
tous ceux qui sont venus après. Et c’est ainsi que, grâce à Tuân, fils de
Carill, ainsi qu’à l’abbé Finnen, nous connaissons la grande épopée des Celtes

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