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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Finnen fut saisi de colère. Il
s’avança vers la porte de la forteresse et s’écria : « Puisqu’il en
est ainsi, puisqu’il est fait appel à nos anciennes coutumes, je vais jeter
malédiction sur le maître de cette demeure, sur tous ceux qui y résident, ainsi
que sur tous les habitants de ce pays ! Par Dieu tout-puissant, je ne
ferai rien qui puisse épargner le malheur à ce pays tant qu’on ne m’aura pas
rendu justice. Ni mes compagnons ni moi-même n’absorberons une quelconque
nourriture avant qu’on ne fasse droit à notre demande d’hospitalité. Si nous
mourons, la faute en retombera sur celui qui nous interdit l’accès de sa
demeure et sur tous ceux qui le suivent dans sa détestable volonté. Ils seront
honnis et rejetés, eux et leurs descendants, et ce jusqu’à la neuvième
génération. Telle est la coutume de ce pays, et je jure de m’y conformer en
tous points ! » [16]
    Ayant prononcé ces paroles, Finnen revint vers ses compagnons
et, tous les sept, ils s’allongèrent sur le pré, devant la forteresse. C’était
un samedi soir. Ils restèrent là, couchés sur l’herbe, pendant toute la nuit et
une bonne partie de la matinée suivante. Là-dessus, survint un homme de haute
taille, aux cheveux blancs et à la barbe abondante, qui, après avoir examiné
les sept hommes, se dirigea vers Finnen et se prosterna devant lui. « Je
te salue, homme de Dieu ! dit-il. Permets-moi de relever le défi que tu as
lancé à tous les gens de ce pays. Il ne sera pas dit que notre coutume
d’hospitalité soit ainsi bafouée et que la faute en retombe sur chacun de nous.
Ma demeure n’est pas loin d’ici, et j’ai prié mes serviteurs d’allumer le feu
et de faire bouillir des aliments dans mon chaudron. Viens, homme de Dieu ;
toi et tes compagnons, vous recevrez un accueil digne de celui qui vous envoie
parler en son nom à tous les peuples de cette île. » Finnen se leva et
salua le vieillard. « Qui es-tu, toi qui m’appelles homme de Dieu ?
Es-tu également homme de Dieu, ou bien viens-tu me provoquer au nom de
l’Ennemi ? – J’ai reçu le baptême au nom du Seigneur, le Dieu
tout-puissant, et c’est Patrick qui a versé sur mon front l’eau de la vie
éternelle, répondit le vieillard. Je t’en prie, renonce à la malédiction que tu
as jetée contre les gens de ce pays et viens dans ma demeure te restaurer et te
réconforter. – Mais qui es-tu donc ? reprit Finnen. – Un homme des anciens
jours. Il y a longtemps que je suis venu en ce monde, et c’est par la volonté
de Dieu que je suis encore aujourd’hui devant toi. Cela doit te suffire. Viens
avec moi dans ma demeure. – Par Dieu tout-puissant ! s’écria Finnen, ni
moi ni mes compagnons nous ne te suivrons si tu ne nous dis qui tu es ! –
Alors, écoute bien mes paroles. Personne n’a jamais abordé dans cette île avant
le déluge. On raconte pourtant que, quarante jours avant le déferlement des
eaux, trois femmes y vinrent, qui portaient les noms de Banba, Fothla et Ériu [17] ,
et l’on ajoute même qu’elles survécurent à l’inondation. Mais, ce qui est sûr,
c’est que cette île demeura déserte trois cent douze ans après le déluge. C’est
alors qu’aborda Partholon, fils de Séra, avec vingt-quatre hommes qui avaient
chacun sa femme. Et j’étais moi-même parmi ces vingt-quatre hommes.
    « Partholon et son clan s’établirent donc en Irlande et
y vécurent longtemps. La terre était belle et bonne, couverte de grandes
prairies où paissaient les troupeaux. Et le pays leur plaisait, parce qu’ils
pouvaient y prospérer en toute tranquillité, sans même craindre les bêtes venimeuses [18] .
Mais alors, entre deux dimanches, une épidémie s’abattit sur l’île, et tous ses
habitants périrent. Cependant, comme on n’a jamais entendu parler d’un désastre
qui n’épargnât un survivant pour le raconter, je suis ce survivant, cet unique
témoin des anciens jours.
    « Je demeurai dans une solitude immense. J’allais de
colline en colline et de falaise en falaise, me gardant des loups qui rôdaient
dans les plaines et les forêts. J’errai ainsi pendant trente-deux ans sans
jamais rencontrer ni homme ni femme. Enfin, la vieillesse vint sur moi,
alourdissant mes membres et me rendant faible et désemparé. Je ne pouvais même
plus gravir les collines et, bientôt, faute de pouvoir bouger, je me réfugiai
dans une grotte pour y attendre la mort.
    « Je me souviens fort

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