Les contrebandiers de l'ombre
peu embarrassé par les élucubrations de son ami, en jetant un coup d'oeil en biais vers la vieille femme qui occupait un fauteuil près de la fenêtre pour faire de la broderie.
Sir Jacob comprit ce regard.
— Ne t'en fais pas pour Essie. Elle est sourde comme un pot. Je pense qu'elle ne s'est même pas aperçue que nous sommes là. Elle s'endort toujours à cette heure-ci. Essie vient pour coudre et elle finit par ronfler.
La tête de la vieille femme était recouverte d'une longue coiffe.
— Qui est-elle ? demanda Dante.
— Ma cousine... ma nièce ? Je ne sais plus. Je deviens tellement vieux moi-même que je m'y perds dans les générations, répondit sir Jacob en agitant les sourcils en tous sens. Enfin, c'est une vieille sans défense. Et qui sont ces jeunes gens ?
— Sir Jacob, voici Alastair Marlowe, un ami et un ancien de mon navire, et mon beau-frère, Francis Dominick, lord Chardinall.
— Très honoré, firent simultanément les jeunes gens.
— C'est un honneur pour moi aussi ! fit le vieillard en leur serrant la main avec insistance.
Dominick ? Je connais ce nom... Il y a un rapport avec Lucien Dominick ? Je me souviens de ce garnement à Londres, autrefois... Il est de la famille ?
— Mon père, sir Jacob.
— Votre père... Ah, tiens donc ? dit sir Jacob en hochant la tête. Votre père ? Seigneur, je suis vraiment l'ancêtre, ici ! Ah ! voilà Oliver avec le thé. Il faudra du cognac pour celui de lord Jacobi, Oliver...
— C'est cela, sir Jacob. J'ai aussi pris la liberté de vous amener votre médicament ajouta le maître d'hôtel, déférent mais ferme. Vous savez ce que le docteur a dit...
— Tous les jours, oui... C'est un idiot, et je m'y connais. J'étais déjà vieux avant sa naissance !
Les années m'ont rendu plus intelligent, et je sais maintenant ce qui est bon pour moi depuis le temps, grogna sir Jacob en faisant un clin d'œil à Francis. Un verre de cognac tous les jours, voilà le secret de la vieillesse longue et heureuse ! Jeunes gens, retenez ça ! Et vous vivrez peut-être aussi vieux que moi ! Et aussi futés ! (Sir Jacob éclata de rire devant la mine horrifiée de lord Francis.) Bien, asseyons-nous. Laissons Essie faire sa sieste. Elle n'a rien à dire de toute façon. Pas si loin, ma petite fille, ma vue est mon point faible... depuis longtemps, du reste. (Il se renfrogna en considérant la faible quantité de cognac qu'Oliver versa dans son thé.) Je vais vous flanquer à la porte, un de ces jours, Oliver...
— Vraiment, sir Jacob ? Vous êtes seul juge, fut la réponse du maître d'hôtel, qui avait l'air presque aussi vieux que son maître.
Aussi loin que remontaient ses souvenirs de Sevenoaks House, Dante avait entendu ce même dialogue entre les deux inséparables partenaires. C'était une constante de la vie de cette maison.
Tout le monde prit place autour du plateau de thé, Rhea et Dante de chaque côté du vieil homme.
— Maintenant, je veux tout entendre. Et prends garde de ne rien oublier ! Parce que tes lettres d'affaires... parlons-en ! se plaignit sir Jacob. Je veux que tu me racontes les pirates, tes exploits ! Les plus sanglants, surtout !... Bon, qu'est-ce que je disais ?... s'interrogea-t-il brusquement avec un mouvement d'impatience.
— Vous vous plaigniez des lettres de Dante, lui rappela Rhea.
— Ah ? Sacrée histoire, hein, Dante ? Il va en faire, une bobine, Miles ! Je dois dire que j’étais bien content de t'aider ! Quel plaisir !
Avec un sourire de satisfaction sur les lèvres, Dante répondit à la question contenue dans le regard de Rhea:
— Sir Jacob était mon mandataire et mon prête-nom. Il a racheté les terres de Leighton pour mon compte. Miles s'est-il méfié ?
— Miles ? Non, bien trop malin pour lui. Parfois j'ai utilisé des intermédiaires, pour qu'il n'ait pas la puce à l'oreille. Mais il avait bien trop de problèmes avec cette fameuse banqueroute.
Sinon, c 'aurait été une autre paire de manches.
— Un vrai coup de chance, cette banqueroute ! s'exclama Francis.
Les deux acolytes échangèrent un regard entendu. Tous les deux savaient que la chance n'avait pas joué un bien grand rôle dans cette opération : Miles Sandbourne avait seulement décidé d'investir dans une entreprise qui avait été coulée volontairement par un autre gros participant financier, Dante Leighton en l'occurrence. L'obligation de couvrir avait amené Miles à vendre les terres des Leighton.
Dante s'éclaircit la
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