Les derniers jours de Jules Cesar
fait ? demanda Vibius. On se
sépare tout de suite ou on va ensemble jusqu’au fond de la vallée ? »
Rufus caressa l’encolure de sa monture, qui piaffait et
soufflait de grands jets de vapeur. « C’est la solution la plus logique et
la plus agréable. Mais, étant donné l’urgence, l’un d’entre nous devra prendre
le raccourci sur la crête en direction de la via Flaminia. Ce chemin est
difficile, mais il permet de gagner une demi-journée. Et dans certains cas une
demi-journée peut être déterminante.
— Bien sûr. Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Courte-paille ou pile ou face ?
— La paille brûle, la pièce dure, répondit Rufus avant
de lancer en l’air un as de Caius Marius aussi brillant qu’une pièce d’or.
— Si c’est face, le raccourci est pour toi. »
Rufus figea la pièce sur la paume de sa main gauche.
« Pile ! dit-il en montrant le quadrige qui ornait l’as. C’est toi
qui prendras le raccourci. Moi, je suivrai la via Flaminia minor. »
Les deux amis rapprochèrent leurs chevaux et s’assenèrent
mutuellement un coup de poing sur l’épaule droite.
« Fais attention aux bouses de vache ! s’exclama
Vibius, dont c’était la formule préférée contre le mauvais œil.
— Toi aussi, égorgeur !
— On se reverra quand tout sera terminé.
— En cas de besoin, dit Rufus avec un ricanement, on
pourra toujours compter sur Pullus. Il est né d’une chèvre et il nous
retrouvera n’importe où. »
Il poussa son cheval et s’engagea sur un sentier tout juste
visible qui descendait dans la vallée en suivant le dos de la montagne et
menait à la passerelle au-dessus du Reno. Le fleuve scintillait comme une épée
sous la lune.
Vibius monta vers la crête. De là, il parcourrait le
raccourci à travers les montagnes en direction d’Arezzo.
Chapitre VI
Romae,
a.d. Id. Mart., hora sesta
Rome,
9 mars, onze heures du matin
Titus Pomponius Atticus à son cher Marcus Tullius,
salut !
J’ai reçu ta lettre avant-hier et longuement réfléchi à
son contenu. Les pensées qui t’assaillent en ce moment crucial sont nombreuses
et complexes. Néanmoins tu ne peux échapper, je le crois, au rôle que
t’attribuent les meilleurs de cette ville. Tu ne peux non plus te plaindre que
tes mérites, en des circonstances passées, aient été méconnus dans l’œuvre de
Brutus que j’ai lue récemment. Ses écrits sont dictés par l’amour qu’il éprouve
pour son épouse, femme aussi sage qu’avenante, mais surtout fille d’un tel père
qu’elle vénère. Tous ceux qui aiment la patrie et qui éprouvent de la gratitude
envers ses défenseurs savent que celle-ci t’est reconnaissante et que tu es un
modèle à proposer aux futures générations.
Si je le peux, je te rendrai visite peu après que tu
auras reçu cette lettre confiée au messager que tu connais bien.
Prends soin de toi.
Marcus Tullius Cicero rangea dans un tiroir la lettre de son
ami, arrivée la veille, et soupira. Il espérait que son auteur lui rendrait
visite aussi vite qu’il l’annonçait. Jamais il n’avait ressenti autant le
besoin de lui parler en tête à tête, d’obtenir le réconfort de son avis, de ses
conseils. Il connaissait le choix que Titus Pomponius avait effectué depuis
longtemps : éviter les querelles civiles. Au fond, il ne pouvait l’en
blâmer. Ces guerres avaient engendré un immense désordre, des décisions
difficiles à prendre, des conséquences toujours imprévisibles, et la situation
ne s’était pas améliorée depuis que César avait obtenu les pleins pouvoirs.
Le conquérant de la Gaule avait prétexté des événements
marginaux pour envahir le territoire métropolitain de la République à la tête
d’une armée, accomplissant un acte qui violait toutes les lois, toutes les
traditions, toutes les frontières sacrées. Si lui, Cicéron, avait d’abord vu
dans cette prise de pouvoir le moindre des maux, s’il s’était même exposé en
déclarant, lors d’une des dernières séances du sénat, que les sénateurs
devraient défendre César au cas où celui-ci serait en danger, il comprenait
maintenant que le mécontentement grondait partout et que la défense des
libertés civiles ne pouvait être subordonnée au désir, quoique légitime et
compréhensible, de paix et de tranquillité qu’éprouvaient la plupart des
citoyens.
C’est alors que Tiron fit son entrée. Il était depuis
longtemps le bras droit de Cicéron et
Weitere Kostenlose Bücher