Les derniers jours de Jules Cesar
le dépositaire, à cinquante-neuf ans, de
sa totale confiance. Presque chauve, affligé d’une arthrose à la hanche qui le
rendait claudiquant, il paraissait plus âgé qu’il ne l’était.
« Maître.
— Tu es un homme libre depuis longtemps, Tiron. Ne
m’appelle donc pas ainsi, je te l’ai déjà demandé à de nombreuses reprises.
— Je ne saurais t’appeler autrement. Les habitudes
d’une vie font partie de nous-même.
— Qu’y a-t-il, Tiron ? interrogea Cicéron en
secouant la tête.
— Des visites. Une litière se rapproche et, si ma vue
ne me trompe pas, c’est celle de Titus Pomponius.
— Enfin ! Vite, va à sa rencontre ! Fais
préparer le triclinium. Il déjeunera sûrement avec nous. »
Tiron s’inclina puis se dirigea vers l’atrium et la porte
d’entrée. Or, dès qu’il eut jeté un coup d’œil vers la rue, la déception se
peignit sur son visage : à cinquante mètres de distance, la litière
s’engagea dans une ruelle, à sa gauche, et disparut. Comment allait-il
rapporter à son maître la défection de l’ami qu’il attendait avec
impatience ? Il s’attarda quelques instants à l’ombre d’un vieux laurier
qui se dressait près de la grille d’entrée et rebroussa chemin. Il s’apprêtait à
entrer quand un des domestiques vint vers lui. « Tiron, on frappe à la
porte de derrière.
— Ouvre immédiatement, je te suis. »
Le serviteur s’exécuta. Tiron se trouva bientôt nez à nez
avec Atticus, qu’il invita à entrer. « Pardonne-moi, Titus Pomponius, tu
connais la stupidité des domestiques. Il était évident que c’était toi.
Suis-moi, je t’en prie, mon maître est impatient de te voir. »
Il l’invita à entrer dans le cabinet de Cicéron, puis se
retira.
« Atticus ! Je t’attendais avec impatience. Tiron
s’est-il occupé de tes serviteurs ?
— Non, mon ami, ce n’était pas nécessaire. À l’heure
qu’il est, ils conduisent ma litière vide à la demeure de mon neveu. Je suis
entré à pied par la cour de derrière. Je préfère que nos rencontres demeurent
secrètes, même si tout le monde connaît notre amitié. Alors, que se
passe-t-il ? Ta dernière lettre laissait entendre que les non-dits
l’emportaient sur les paroles. »
Cicéron, qui l’avait aussitôt étreint, s’assit à côté de
lui. « Restes-tu à déjeuner ? J’ai donné des ordres en ce sens.
— Je regrette, je ne peux m’attarder, mais j’ai voulu
venir car j’ai compris que tu avais besoin de me parler.
— Oui. Voilà : j’ai reçu il y a quelque temps une
lettre de Cassius Longinus. »
Atticus fronça les sourcils.
« Une lettre insolite, qui a apparemment peu de sens, à
moins quelle ne contienne un message caché.
— Que veux-tu dire ?
— Cette lettre parle de choses évidentes. Bref, elle
paraît superflue, à moins qu’elle ne doive être comprise différemment.
— C’est possible.
— Tiron, mon secrétaire, a mis au point un système de
sténographie avec lequel il retranscrit mes discours quand je m’exprime en
public. Il est passionné de cryptographie et il a appliqué à cette lettre ses
talents d’interprète.
— Et donc ?
— Titus, mon ami, je n’ai jamais voulu t’impliquer dans
des situations susceptibles de te créer des ennuis, tu le sais. Je connais ta
pensée et je respecte tes choix. Voilà pourquoi je ne te révélerai rien de
troublant. Je me bornerai à te dire que la situation est explosive, je le sens,
je le devine, même si j’ignore ce dont il s’agit.
— Je te crois aisément. Tiron a-t-il découvert le
véritable sens de cette lettre ?
— Oui.
— De quoi s’agit-il ? »
Cicéron dévisagea son ami. Il lut dans son regard une
sérénité voilée d’inquiétude et d’affection, que ses paroles confirmèrent
bientôt :
« Si je me suis caché pour te rendre visite, c’est
parce que je souhaitais que tu me parles sans réticence. Je n’ai pas peur et tu
sais combien l’amitié compte pour moi. Exprime-toi librement. Personne ne nous
écoute et personne n’est au courant de ma présence ici.
— Si l’interprétation de Tiron est juste, et je pense
qu’elle l’est, un grand événement se prépare, un événement qui décidera du
destin de la République, que l’on tient toutefois à me cacher. Si je ne
m’abuse, je suis censé intervenir dans un second temps.
— C’est toi qui as déjoué la conjuration de Catilina,
même si, dans ses
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