Les Dieux S'amusent
Comme il était
lui-même incapable de mentir ou de dissimuler, il ne soupçonnait jamais le
mensonge et la dissimulation chez les autres. Il ne voyait le mal nulle part, faisait
confiance à tout le monde et par conséquent se laissait facilement tromper. En
dehors de cela, il avait deux particularités dignes d’être mentionnées : d’une
part, il était passionné de chasse et consacrait à ce sport le plus clair de
son temps ; d’autre part, il avait pour épouse Hélène, la fille de Léda et
de Jupiter, celle qu’on appelait « la belle Hélène » et qui passait
pour la plus belle femme de Grèce et même du monde.
La mère d’Hélène, Léda, étant morte le jour même de la
naissance de sa fille, c’est le mari de Léda, Tyndare, qui avait élevé Hélène
dont il se croyait le père. Hélène, enfant, était déjà jolie et avait attiré
sur elle, vous vous en souvenez, l’attention de Thésée. En grandissant, elle
était devenue d’une extraordinaire beauté. Brune aux yeux bleus, ce qui était
fort rare en Grèce, elle n’avait rien à envier à Vénus la blonde, ni pour le
visage, ni pour la silhouette. En outre, elle était gaie, aimable, spirituelle,
et son père était riche. Vous imaginez bien qu’avec cet ensemble de qualités
elle ne manquait pas de prétendants. Lorsque son père annonça qu’il allait la
marier, cinquante rois ou princes, venus de toute la Grèce à raison d’un par
royaume, se mirent sur les rangs.
Cette affluence, tout en flattant l’amour-propre de Tyndare,
lui causa aussi quelque inquiétude. Prévoyant, ajuste titre, que le choix d’Hélène
ferait un heureux et quarante-neuf mécontents, il craignait que ceux-ci ne
cherchassent un jour à se venger de leur échec sur Hélène et sur son mari. C’est
pourquoi il réunit les cinquante prétendants et leur tint ce discours :
— Mes amis, c’est Hélène elle-même qui choisira
librement son mari parmi les invités d’une grande fête que j’organise ce soir. Je
ne chercherai pas, pour ma part, à l’influencer. Cependant, je n’inviterai à
cette fête que ceux d’entre vous qui auront préalablement prononcé le serment
suivant : « Quel que soit le mari choisi par Hélène, je jure
solennellement que je serai toujours son ami, que je défendrai ses droits et
son honneur et que je lui apporterai, s’il me le demande, le concours de mon
bras et de mes armes. »
Comme chacun des cinquante princes était secrètement
convaincu que c’était lui qui serait choisi, aucun d’entre eux ne fit de
difficultés pour prononcer le serment.
Pourquoi le choix d’Hélène se porta-t-il sur Ménélas, qui n’était
pourtant ni le plus beau, ni le plus riche, ni le plus brave, ni le plus
intelligent d’entre eux ? C’est sans doute parce qu’il lui paraissait le
plus affectueux : à la longue, cette qualité est la plus importante pour
un mari.
Lorsque Pâris débarqua à Sparte, il y avait déjà quelques
années qu’Hélène et Ménélas étaient mariés. Les deux époux s’entendaient bien. Ils
avaient une petite fille nommée Hermione. Ménélas était pleinement heureux et
Hélène n’était pas malheureuse. Cependant, tout en ayant de l’affection pour
son mari, elle se plaignait parfois de ce qu’il la délaissât trop souvent pour
aller à la chasse.
Pendant les absences fréquentes de Ménélas, Hélène s’ennuyait
un peu dans son grand palais, dans la seule compagnie de sa fille Hermione, de
ses serviteurs et de ses colombes, volatiles dont, comme Vénus, elle raffolait.
S’étant renseigné auprès de quelques habitants du pays sur
les particularités du royaume où il se trouvait, Pâris se fit conduire au
palais royal, décidé à produire une bonne impression sur le roi, et surtout sur
la reine. Dans cette intention, il avait revêtu la ceinture magique que lui
avait offerte Vénus. Il fut introduit tout d’abord auprès de Ménélas.
— Je suis Pâris, fils du roi de Troie, et je suis venu
en Grèce pour chercher ma tante Hésione, qui s’y trouve depuis bientôt trente
ans. Peut-être pourras-tu faciliter ma mission ?
Ménélas lui fit bon accueil :
— Je ferai tout mon possible pour t’aider. Mais, pour
commencer, reste donc quelques jours ici. Je mettrai un appartement du palais à
ta disposition et, dès demain, nous chasserons ensemble.
Pâris hésitait à accepter cette invitation, de crainte de
perdre du temps, lorsque Hélène fit son entrée dans
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