Les Dieux S'amusent
langue et son mauvais caractère et qui, chaque fois qu’elle
participait à une réception, provoquait entre les invités des disputes et des
brouilles. Malheureusement, Discorde eut vent du projet de Jupiter et décida de
se venger de l’affront qui lui était fait.
Le jour du banquet, alors que les invités étaient déjà à table,
Discorde apparaît tout à coup, s’approche de la table et, sans prononcer une
seule parole, y dépose une pomme d’or [3] sur laquelle elle avait écrit ces quatre mots : À la plus belle. Toutes
les déesses présentes comprennent aussitôt qu’il s’agit d’un concours de beauté
entre elles, et que la pomme d’or doit être attribuée à la gagnante. Dans un
grand tumulte, chaque déesse, persuadée d’être la plus belle, réclame l’orange
à grands cris. Pour les calmer, Jupiter propose de les départager par un vote à
bulletins secrets, auquel participeront tous les dieux : chaque dieu inscrira
sur un morceau de papier le nom de la déesse qu’il juge la plus belle et
déposera son bulletin dans un casque : on comptera ensuite les bulletins, et
la gagnante sera celle qui aura obtenu le plus de suffrages.
Le vote terminé, on procède au dépouillement. Le résultat
est fort embarrassant : trois déesses, Junon, Minerve et Vénus, arrivent
en effet en tête, avec le même nombre de voix, douze voix chacune ; un
petit nombre de suffrages s’étaient portés en outre sur des déesses de moindre
importance ; et quelques dieux facétieux avaient jugé bon, par dérision, de
voter l’un pour la chouette de Minerve, qu’il trouvait plus belle que toutes
les déesses, un autre pour Mars, qu’il trouvait efféminé, et le troisième pour
Vulcain qui, vous le savez, était célèbre par sa laideur. Comment, dans ces
conditions, départager les trois premières ex aequo, Junon, Minerve et Vénus ?
Minerve eut une idée :
— Descendons toutes les trois sur la terre, en un lieu
choisi au hasard, et demandons au premier homme que nous rencontrerons d’être l’arbitre
du concours en désignant celle d’entre nous qu’il jugera la plus belle.
Junon et Vénus ayant accepté cette proposition, une carte de
la terre, c’est-à-dire de la Grèce, fut étalée sur la table ; fermant les
yeux, Jupiter piqua une épingle, au hasard, sur la carte : elle désigna le
mont Ida. Pendant que les trois déesses se préparaient avec un soin que vous
pouvez imaginer, le messager attitré de Jupiter, Mercure, fut chargé de les
précéder sur terre et d’organiser le concours.
Le premier homme qu’il rencontra, sur le mont Ida, n’était
autre que Pâris, qui gardait paisiblement son troupeau en jouant de la flûte. Mercure
lui expliqua l’affaire en se gardant bien de lui révéler l’identité réelle des
concurrentes :
— Trois femmes vont se présenter devant toi. Après les
avoir bien regardées, tu donneras cette pomme d’or à celle que tu jugeras la
plus belle. Tu auras dix pièces d’or pour récompense.
Pâris, ravi de l’aubaine, accepte avec empressement.
La première déesse à se présenter devant lui est Minerve, sobrement
habillée d’une tunique blanche et coiffée de son casque resplendissant.
— Si tu me donnes la pomme d’or, dit-elle à Pâris, je
te ferai cadeau de ce casque magique ; il te donnera, pendant toute ta vie,
la puissance et la gloire.
Impressionné par cette proposition, sensible à la pureté des
traits de Minerve et à l’intelligence de son regard, Pâris s’apprête déjà à lui
donner la pomme, lorsque apparaît Junon, assise sur son char traîné par quatre
paons. Elle est vêtue d’une robe somptueuse ; son cou et ses poignets sont
couverts de bijoux précieux. Elle porte à la main une bourse faite de fils d’argent
tressés. Descendant de son char, elle fait : quelques pas devant Pâris, la
tête haute, la démarche assurée, pareille aux mannequins qui présentent les
modèles de haute couture.
— Si tu me donnes la pomme d’or, dit-elle à Pâris, je
te ferai cadeau de cette bourse magique qui produit des pièces d’or au fur et à
mesure qu’on les dépense ; elle t’apportera, pendant toute ta vie, la richesse.
Entre la gloire et la richesse, entre Minerve et Junon, Pâris
hésite ; il envisage même de couper la pomme en deux.
C’est alors qu’arrive Vénus, en retard comme à son habitude.
Ce ne sont pourtant pas les préparatifs de sa toilette qui ont dû la retarder
beaucoup,
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