Les Filles De Caleb
y déposa les briques, retourna chercher celles qu’il avait laissées près de la porte et les rangea à côté des premières. Il vit la tasse qu’Émilie lui avait descendue. Elle y avait déjà mis les feuilles de thé. Il versa de l’eau et attendit que le thé soit infusé. Il chercha un endroit pour s’asseoir et opta pour la chaise d’Émilie. Dès qu’il fut installé, il regarda la classe et essaya d’imaginer ce que ressentait sa fille quand, à chacun des pupitres devant elle, il y avait une paire d’yeux qui la regardaient. Caleb fut pris de l’envie de jouer au maître d’école.
«Sortez donc vos livres de lecture s’il vous plaît.»
Au son de sa voix, il se sentit ridicule. Il se leva et décida de monter à l’étage. L’escalier était à pic, presque une échelle. Il eut quelque difficulté à se tenir en équilibre, soucieux de ne pas renverser le thébord.
Il arriva dans la pièce d’Émilie. S’il avait été surpris par les transformations de la classe, ici il fut littéralement renversé de voir combien, avec presque rien, elle avait réussi à aménager une pièce agréable. Elle s’était confectionné des rideaux qu’elle avait suspendus aux fenêtres sur une broche bien tendue. Les rideaux étaient de coton blanc, brodé de fil blanc également. Sur le petit lit de métal, elle avait jeté un couvre-pieds orné de motifs identiques à ceux des rideaux. Une vieille boîte à beurre, nappée de tissu, faisait office de table de chevet. Une lampe à huile y côtoyait un dictionnaire. Caleb sourit. Émilie n’avait pas perdu l’habitude de lire le dictionnaire avant de s’endormir. Près de la glacière, il y avait une table et des étagères sur lesquelles elle avait rangé ses provisions, sa vaisselle et ses vaisseaux. Elle n’avait que deux chaises dans la pièce. La première, à laquelle il manquait un barreau au dossier, avait été recouverte d’un coussin. C’était celle qu’elle utilisait pour manger. La seconde, berçante, était placée près d’une des fenêtres. C’était là qu’elle devait coudre et lire, pensa- t-il. Dans un vase ébréché, elle avait disposé des fleurs séchées. Caleb trouva cela de mauvais goût. Il avait toujours pensé que les fleurs séchées dégageaient une odeur de mort. Enfin, elle s’était confectionné une sorte de paravent qui dissimulait le coin des ablutions. Les murs n’étaient pas peints, mais Caleb fut soulagé de voir qu’il y avait deux rangs de planches partout. Le nordais ne pourrait pas pénétrer sans forte résistance.
Caleb déposa sa tasse vide, puis décida de descendre la valise d’Émilie. Ils ne pourraient partir tout de suite, la jument n’ayant pas pris de repos. Il traversa la classe et déposa la valise à côté de la porte. Émilie rentrait.
«J’ai remis la couverte sur la jument. Est-ce que vous voulez que je lui donne son avoine tout de suite?
— Non, laisse-la se refroidir. Après ça, elle pourra avoir son avoine. Pis j’aimerais mieux lui laisser le temps de digérer un peu avant de repartir. »
Ils s’assirent tous les deux, les fesses sur la galerie, les pieds sur la terre battue. La journée était fraîche, quoique égayée par un soleil qui jouait à saute-mouton derrière les nuages. Une journée d’automne comme les aimait Emilie. Le père et la fille se turent, se contentant de regarder la jument. Soudain, ils entendirent un hennissement. Le cri venait de derrière l’école et n’avait pas échappé à la jument. Elle releva la tête et frémit des naseaux. Le hennissement doubla d’intensité. Caleb et Emilie se levèrent et contournèrent l’école pour voir la bête qui sérénadait ainsi la jument. Ils aperçurent un bel étalon brun qui portait fièrement une crinière hors du commun. Fournie et dorée. D’autant plus dorée que le soleil qui commençait à décliner l’illuminait d’un de ses pieds de vent. Claleb siffla. Il ne lui avait jamais été donné de voir un si bel étalon.
«Si on avait un étalon comme ça par chez nous, ça fait longtemps que j’aurais demandé à son propriétaire de l’avoir pour servir ma jument. C’est à qui cette bête-là?»
Emilie lui avoua qu’elle apercevait l’animal pour la première fois. Qu’il était tellement magnifique qu’elle l'aurait remarqué et n’aurait pas manqué d’en parler dans ses lettres. Caleb lui faussa compagnie et suspendit un sac d’avoine au mors de la bête.
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