Les Filles De Caleb
avec son chapeau.
«Faites attention à vous autres, mes bougrines. Pépère voudrait pas que le ch’val vous frappe.»
Les petites rirent et l’escortèrent jusque derrière leur maison. Caleb les étreignit distraitement, surveillant l’arrivée d’Emilie. Enfin, elle fut devant lui. Le cœur de Caleb fit une embardée. Elle était méconnaissable. Il s’avança vers elle, lui tendit les bras, mais Emilie ne s’y réfugia pas. Il les laissa retomber lourdement.
«Bonjour, pâpâ. Qu’est-ce qui vous amène? La dernière fois qu’on s’est vus, Rose devait pas avoir plus d’un an et demi.
— C’est bien parce que tu nous as toujours annoncé les mauvaises nouvelles avec du retard pis que tu as jamais pu venir à Saint-Stanislas.
— C’est pas mal plus facile pour vous de venir faire un tour à Saint-Tite que pour moi de partir avec les enfants pis de descendre à Saint-Stan’.
— On rajeunit pas, Émilie.
— On reste ici ou en rentre pour prendre un café?»
Caleb la suivit docilement, enregistrant mentalement tous les changements. Elle avait dû prendre au moins vingt livres. Elle avait plus que des pattes d’oies autour des yeux. Ses cheveux avaient perdu leur éclat si ce n’était des reflets que donnaient les cheveux blancs. Il secoua la tête, essayant de brouiller toutes les questions qui s’y bousculaient.
Caleb s’assit dans la cuisine et prit ses petites-filles sur ses genoux. Il n’avait encore jamais vu Marie-Ange.
«Tu excuseras ma mauvaise mémoire, Émilie, mais tes filles ont quel âge?
— Rose a eu quatre ans en juin, Marie-Ange, deux ans il y a deux semaines, pis le p’tit est né le cinq du mois passé. Louisa, elle...Louisa aurait eu un an cette semaine.»
Caleb dévia son regard vers l’enfant qu’elle portait encore sur sa poitrine.
«C’est quoi le nom du p’tit?
— Il a pas de nom encore. J’attends qu’Ovila revienne pour qu’on le choisisse. »
Caleb fît descendre ses petites-filles et leur dit d’aller voir dans sa calèche.
«Si vous avez été sages, vous allez pouvoir y trouver des surprises.»
Dès qu’elles furent sorties de la maison, Caleb toussota puis tenta bien malhabilement de questionner Emilie sur l’absence d’Ovila et sur la mort de Louisa. Émilie resta muette. Caleb changea de sujet.
«Tu reconnaîtrais pas tes frères pis tes sœurs tellement. ..
— Ça me serait difficile de les reconnaître, pâpâ, parce qu’on peut pas dire que je les ai vraiment connus. »
Caleb chercha un autre sujet de conversation.
«As-tu eu des nouvelles de Berthe?
— J’ai reçu une lettre après la mort de Louisa.
— Ça fait que tu as pas eu les dernières nouvelles d’abord.
— Lesquelles?
— Rapport à sa santé?»
Émilie posa sa tasse. Caleb soupira. Enfin, elle semblait réagir à quelque chose.
«Qu’est-ce qu’elle a sa santé?
— Elle a qu’on peut pus parler de santé.
— Comment ça?
— Sa sœur est allée la voir parce que la supérieure de son couvent avait écrit que Berthe était malade pis que personne, même pas les docteurs, savait ce qu’elle avait.
— Pis?
— Ça a l’air que sa sœur est revenue bien découragée.
— J’vas écrire à Berthe demain. »
Elle avait clos la discussion. Caleb se leva et se dirigea vers la fenêtre. Il aperçut ses petites-filles qui s’amusaient avec les cadeaux qu’il leur avait apportés.
«J’aurais quelque chose à te demander, Émilie. J’espère que tu vas dire oui.
— Demandez toujours. Pour la réponse, on verra.
— Ta mère est pas en forme de ce temps-là...
— Ma mère a jamais été en forme de sa vie...
— C’est pour ça qu’elle est pas venue avec moi. On s’est demandé... en fait, je me suis demandé si je pouvais pas amener tes p’tites prendre une vacance chez leur autre pépère. »
Il se tourna et lui fit face. Émilie s’approcha de la fenêtre et regarda ses filles.
«Je suis pas sûre que j’aimerais ça. Ça m’inquiète quand je suis pas avec elles depuis...
— Je le sais, Émilie. Me semble, moi, que ça te ferait du bien. Tu pourrais te reposer pis t’occuper de ton jeune. Ça permettrait à tes filles de connaître un
Weitere Kostenlose Bücher