Les Filles De Caleb
lui arrive, pendant que toi tu dormais. Est-ce que c’est vrai, Émilie, que tu as dit ça à mon frère?»
Émilie cessa de refouler les larmes qui lui embrouillaient l’esprit. Elle sanglota longtemps et Edmond tenta de la consoler, même s’il commençait à comprendre les raisons du départ de son frère. Le chagrin d’Émilie lui parut tellement mince comparé à celui qu’il avait lu dans le regard d’Ovila. Il lui raconta la version d’Ovila. Son malaise incompréhensible le soir de la mort de Louisa.
«Ovila dit qu’il est resté assis dans la cuisine à essayer d’entendre un son. Il pense que le son qu’il attendait, c’était la respiration de Louisa. »
Émilie lui demanda de se taire. Elle n’en pouvait plus d’entendre parler de la souffrance d’Ovila. Elle ne lui avait même pas donné la chance de s’expliquer. Elle l’avait accusé et il n’avait même pas dit qu’elle était aussi responsable que lui. Non, lui l’avait épargnée.
Émilie regarda mourir l’automne et naître l’hiver sans nouvelles d’Ovila. Elle avait l’âme en attente. Ovila devait le savoir. Elle se coucha la veille de sa fête en se disant que si elle connaissait bien son homme, il arriverait pendant la nuit. Elle ne dormit que d’un œil. Ovila ne rentra pas.
Elle passa la soirée chez ses beaux-parents qui lui avaient préparé un gâteau. Ses filles s’assoupirent et Émilie les laissa dormir. Elle rentra seule avec son fils, déçue et amère. Elle le coucha et fit le tour de la maison, regardant par chacune des fenêtres. Ovila n’était nulle part. Elle se résigna à se coucher. Elle entra dans sa chambre après être retournée une dernière fois jeter un coup d’œil sur son fils.
«Ferme les yeux...»
Elle poussa un cri et échappa la lampe qu’elle tenait. Le feu commença à lécher le plancher. Ovila se précipita avec une couverture qu’il jeta sur les flammes. Elles s’étouffèrent rapidement. Émilie n’avait même pas eu le temps de réagir qu’Ovila était retourné s’asseoir sur le lit au milieu de tous les cadeaux qu’il avait rapportés.
«Ça, madame, c’est une p’tite catin pour Rose. Comme vous le remarquez, c’est fait par les Indiens. Ça, c’est un p’tit jeu de bois pour Marie-Ange. Ça aussi c’est fait par les Indiens. Ça, c’est un hochet pour le p’tit. Quand on le brasse, ça fait du bruit parce que les Indiens ont mis des graines de blé d’Inde dedans. Ça, c’est pour vous. Je sais que vous voudrez pas vous promener avec, mais si ça vous tente de la porter, moi ça me plairait de la voir. »
Il remit à Emilie une magnifique robe indienne, toute de peaux cousues et liées par de fins lacets. Emilie porta la robe jusqu’à sa figure et la renifla. Elle sourit. Elle avait toujours aimé l’odeur de la peau.
«Pis ça, dit finalement Ovila après s’être penché pour aller prendre quelque chose sous le lit, ça c’est pour nous deux. Avec ça accroché au dos, il y a jamais un de nos papooses qu’on va perdre de vue.
— On a pensé la même chose, Ovila. Depuis que le p’tit est né, je le porte attaché sur moi avec un châle.»
Un long silence s’immisça entre les deux. Ovila regarda le plancher; Emilie, Ovila.
«J’ai pas été juste, Ovila.
— Je veux pus qu’on en parle.»
31.
Émilie et Ovila connurent enfin des mois d’un nouveau bonheur longuement espéré. Ils baptisèrent leur fils au grand soulagement de tous. Émilie avait souhaité qu’il soit nommé Ovila, comme son père. Ovila avait résolument protesté. Il voulait que son fils soit nommé Émilien. Après quelques discussions, Émilie avait cédé, trouvant finalement assez amusant d’avoir un fils qui portait presque son nom.
Ovila resta près de sa femme et de ses enfants. Émilie ne s’en plaignit pas. Il n’y eut qu’une ombre au tableau. Depuis le choc de la mort de Louisa, Émilie se sentait incapable de laisser Ovila l’approcher. Elle en souffrit autant que lui. Ovila comprit ses réticences et ne la brusqua pas. Lui même, trop heureux de voir son fils grandir en forme et en espièglerie, s’était demandé s’il avait vraiment envie d’avoir d’autres enfants. Mais la quotidienneté de leur amour vint à bout de leurs plus douloureuses résistances. Émilie conçut à nouveau à la fin mai, pendant une nuit pleine de rires, de pleurs, de soupirs et de lune. L’arrivée prochaine d’un autre enfant
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