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Les Filles De Caleb

Titel: Les Filles De Caleb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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mit une bonne semaine à comprendre qu’Ovila n’avait pas menti. Les comptes n’avaient pas été payés depuis la mi-juillet. Il lui confirma qu’il avait été congédié de la Belgo, deux semaines après son départ pour Saint- Tite.
    «Les Anglais ont pas le sens de l’humour, Émilie. Je suis juste rentré un peu gorlot un matin, pis ils m’ont dit:
    Bye bye mister Prénovo. Don’t call us, we’ll call you if somet’ing really wrong ’appens and if our ingeneers cannot control it. Bye Bye mister Prénovo.
    —        Je dois avoir quelque ancêtre anglais, Ovila, parce que j’ai pas le sens de l’humour pantoute.
    —        Ça, ma belle brume, ça fait longtemps que je le sais. Tu m’apprends rien. »
    Comme Ovila l’avait prévu, la Belgo le contacta pour qu’il aille régler quelques problèmes de mécanique. Émilie se prit à espérer que toute leur infernale machinerie rende l’âme. Entre ses quelques heures de travail hebdomadaires, Ovila continuait à fréquenter ses amis et tous faisaient des gorges chaudes de l’incapacité des «savants ingénieurs de l’Université McGill de Montréal» à régler des problèmes moins compliqués que des problèmes de ménage.
    À la fin d’octobre, Émilie dut faire face à une dure réalité. Jamais ils n’auraient de maison, Ovila en ayant bu ou joué les fondations, les murs et la toiture. Ce fait aurait été acceptable s’il n’avait été jumelé à de graves problèmes d’argent. Ovila ne rapportait plus un sou à la maison — quand il y venait — et Émilie, en secret, se résigna à faire venir son héritage, qui avait dormi à l’abri des tempêtes, à Saint-Tite.
    Plus son enfant grandissait en elle, plus son amour pour Ovila rapetissait. Il rejoignit ce coin de son cœur qu’elle avait bourré de cendres et de poussières. Mais chaque fois qu’elle le voyait entrer, en perte d’équilibre, elle pinçait les narines, non pas tant à cause de l’odeur qu’il dégageait qu’à cause de sa beauté, que l’alcool ne réussissait pas à effacer. Elle apprit à respirer sans l’oxygène qu’il lui avait apporté depuis cinq ans, mais elle étouffa dans son corps, qui ne cessait de le réclamer malgré la vie qu’il y avait, une dernière fois, fait naître.
    Au mois de novembre, le froid attaqua violemment et elle dut se résigner à mettre en marche le chauffage central. La maison se réchauffa, mais pas son cœur ni celui des enfants qui avaient compris que leur père avait été remplacé par une espèce de fantoche désarticulé, soutenu par des ficelles invisibles.
    Au mois de décembre, Émilie accoucha de sa sixième fille. Ovila avait bien essayé de lui tenir compagnie mais il s’était endormi dans un fauteuil avant d’avoir vu cette enfant, véritable portrait de sa mère. Le lendemain, il s’était approché du berceau et l’avait longuement regardée. «Jamais vu ça, Émilie! Si j’avais bu, je dirais que tu t’es déguisée en bébé pis que tu es rentrée dans le berceau. Si j’avais pas souvenir d’avoir été avec toi au mois de mars, je jurerais que tu l’as fait toute seule.»
    Émilie lui sourit, presque dédaigneusement, et répondit qu’il n’y avait mis que quelques petites heures. Rien de plus. Rien de moins.
    Au mois de janvier 1918, Émilie se promenait sur les rives du Saint-Maurice, Rolande emmitouflée dans le traîneau rouge qui avait maintenant seize ans, Alice à ses côtés, s’amusant à faire des boules de neige. Les remous de la centrale de Shawinigan empêchaient l’eau de geler et Émilie regardait la vapeur qui s’élevait des bouillons d’eau comme si sous cette eau glacée il y avait eu un enfer de feu. Elle regardait le manteau élimé d’Alice et se demandait comment, en quelques mois, elle et Ovila avaient pu rejoindre les rangs des pauvres et des presque affamés. Elle s’immobilisa quelques instants, attirée par le flottement d’un morceau de tissu. Elle demanda à Alice de surveiller le bébé et s’approcha de la rive. Elle prit une branche morte et réussit à attirer le lourd tissu jusqu’à elle. Elle le tira partiellement de l’eau et l’examina. Une épaisse laine feutrée aux couleurs du coton jaune. Elle regarda à nouveau les remous et vit un autre tissu qui flottait à la dérive, puis un troisième. Elle reprit la poignée du traîneau et rentra chez elle. Ovila était assis dans la cuisine, pipe au bec, couteau à la main,

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