Les fils de Bélial

et comme invincibles, des Castillans restèrent assis sur leur genet. Guesclin, furieux, interpella Audrehem mal à l’aise, semblait-il, dans son armure et comme embarrassé de sa lance écourtée :
    –  Sire Arnoul, voici très belle gent et il y a plenté (500) Ce sera grand dommage quand ces gars s’enfuiront !
    Les genétaires des seconde et troisième bataille ne voulaient point passer pour des piétons. De leur selle, on disait qu’ils lançaient des dards comme en se jouant. Dans un cliquètement d’armes et de lormeries aheurtées, Henri galopa jusqu’à eux.
    –  Bonnes gents ! Voyez là sur ce pré qui verdoie Pedro le fou, le cruel !… Il vous a amené un peuple de guerriers !… Si vous êtes pris, il vous fera pendre !… Rien ne vous garantira ! Chacun sera pendu comme un païen ! Il ne vous restera ni femme ni enfant !
    Ces Espagnols comprenaient-ils ces propos ? « Il vous a amené un peuple de guerriers  », songea Tristan. « Et lui, Henri, que leur a-t-il amené ? Un peuple de routiers ! J’appartiens à ce peuple et c’est pourquoi j’ai peur. » Oui, la crainte sinuait en lui, mouillait son dos, ses aisselles. Il pouvait désespérer que cette armée fût unie. Si les Anglais la dissociaient, aucune des batailles qui la composaient ne se ressaisirait. Elles rapetisseraient sans pouvoir recouvrer leur unité, leur vaillance – encore qu’il n’était pas certain qu’elles en fussent pourvues. Guesclin, lui aussi, pressentait une déconfiture : son visage était tendu, renfrogné. Il déclara bien haut :
    –  Mes compères, nous sommes sept cents Normands et Bretons.
    Il n’y avait guère de Normands, mais l’on pouvait passer sur ce court préambule.
    –  Seigneurs, oyez ce que je vais vous dire. Tenons-nous tous ensemble. Ne nous séparons pas. N’allez pas vous bouter avec les Espagnols. Ils ne sont pas gens en qui je me veuille fier… On va tous les esbahir de prime face !
    Et soudain, succombant à sa vieille aversion :
    –  Pourquoi t’ébaudis-tu, Castelreng ?
    –  Moi ? s’étonna Tristan. Ai-je donc ri, messires ?
    –  Par Dieu, non, dit d’un trait le Bègue de Villaines.
    L’inquiétude du Breton semblait l’avoir réjoui, lui aussi. Ce ne serait pas une embûche mais une bataille front contre front. Les coups dans le dos n’y seraient fournis qu’à la fin, nullement lors de l’assaut initial.
    –  Nous sommes à prime sonnant, dit encore le Breton.
    Il se méprenait : prime était loin, très loin (501) .
    « Bientôt », se dit Tristan.
    La guige de son écu pesait sur son épaulière dextre. C’était une sensation inquiétante parce qu’inhabituelle. Sa main, pourtant, tenait solidement l’énarme et cette défense serait indispensable dans les premiers échanges de coups. Guesclin n’en avait point, ni d’autres : Villaines, Villiers, Jean de Neuville. Frère Béranger tenait une épée de passot dans une main et une rondelle de poing dans l’autre (502) . Il s’était dispensé de porter une écharpe, croyant que sa bure et la croix rouge qu’il avait peinte sur son bouclier le protégeraient. Et pour cause : les cottes blanches des Anglais étaient frappées d’une croix rouge. Certains le prendraient pour un des leurs et ce serait leur perte !
    –  Couzic, corne un bon coup ! On ne peut plus attendre.
    –  Certes, Bertrand !
    Le Breton emboucha son olifant et le fit beugler aussi longtemps qu’il le pouvait. Des trompettes sonnèrent et les Anglais leur firent un écho. Puis, en face, un commandement éclata. Ce devait être : «  Bannières en avant au nom de Dieu et de saint George ! » Et l’on se mouvait aussi. Le prince de Galles et ses chevaliers demeuraient en selle devant Pèdre et quelques hommes liges également à cheval. Ils devançaient une épaisse haie d’archers couverts de fer : tête, torse, genoux. Un homme – Édouard le Jeune – hurla, et des cris, une ruée de cris retentirent :
    –  Guiana !… Guyenne au prince de Galles !
    –  Saint George !
    –  Castilla !
    –  Santiago !
    Il fallait répliquer, donner de la voix avant de donner son sang.
    –  Castille au roi Henri !
    Avancer avec en tête, au cœur, la volonté de meshaigner 301 ces hommes à la croix rouge, et Lancastre, Chandos et moult autres encore. Souhaiter dans les mains adverses des lames d’acier faussant. Hommes et chevaux à l’entour. Et Béranger, Béranger grande goule qui