Les fontaines de sang
pied d’un arbre, qu’un rayon de lune pas plus long que sa Floberge.
Le froid de ses vêtements lui révéla qu’il suait. Ami ou ennemi ? Amis ou ennemis ? Il avança, l’épée défourrée, Coursan et Malaquin dans son dos, libres et attentifs.
– Qui va là ? dit-il d’une voix altérée par la méfiance.
– C’est moi. Sois rassuré… Je ne t’espérais plus.
La grande ombre de Tiercelet parut dissiper les ténèbres.
– Tu ne pouvais venir que par ce chemin-là.
Une étreinte brève, chaleureuse. Ils n’avaient jamais douté de se revoir.
– Il y a eu bataille à Cocherel.
– Je sais.
– J’ai dû me rendre à Reims et fournir au roi les informations qu’il m’avait demandées.
– Je m’en doute.
– J’ai dû assister au sacre.
– Je te plains.
– Je n’en ai pas attendu la fin.
– J’en aurais fait autant.
– Comment va ? s’enquit avidement Tristan. Tu es barbu comme un Escot 38 !
– Et toi comme un Wandre 39 … Un jour de plus et je renonçais à les exhorter à la patience. Viens…
Suivis des chevaux, ils s’engagèrent dans une friche où çà et là poussaient de grands chênes dont la voûte leur cachait les étoiles. Il y avait, devant eux, des collines assez tourmentées, et sur l’une d’elles, désormais bien visible, le château Ganne, plus redoutable encore dans sa complète et sombre massiveté.
– Nous en avons fait le tour souventefois, dit Tiercelet sans trop baisser la voix. Nous avons dû occire, trois jours de suite, des hommes qui revenaient de Cocherel.
– Ne pouviez-vous faire autrement ? Combien étaient-ils ?
– Huit… Deux, puis trois et trois encore. Ces derniers avant-hier… Oh ! rassure-toi : on ne les a pas eus par-derrière. Les deux premiers, Argouges et son beau-frère les ont affrontés. Les trois autres : Paindorge, Matthieu et moi. Les trois suivants, Thierry, Paindorge et Matthieu… S’ils avaient annoncé la défaite des Navarrais à leurs compères, c’en était fait des prisonnières.
– J’ai redouté cet inconvénient, mais j’avais foi en votre diligence.
– Je t’en sais bon gré. Un de ces hommes, un chevalier sans doute, portait sous son jaseran de mailles une estranière 40 aux armes de Navarre. Cela peut nous servir, pas vrai ? D’autant plus que deux cottes d’armes sont elles aussi navarraises.
– Certes… Mais une fois dans la haute ou la basse cour, comment trouver Luciane et Guillemette ?
– Elles sont recluses dans le châtelet d’entrée que tu as pu prendre pour un donjon.
– Comment le sais-tu ?
– Thierry les a entrevues. Elles ne sont pas seules.
– Combien d’hommes à l’intérieur ?
– Entre quinze et vingt. Pour éviter d’être reconnus par certains auteurs du rapt, Argouges et Thierry sont barbus comme des Templiers.
Coursan trébucha. Bien qu’il fît très sombre, Tiercelet devina le cheval fourbu et même estrapassé.
– Cette bonne bête n’aurait pas tenu un jour de plus.
– Je l’ai ménagée autant que je le pouvais jusqu’à Pacy où j’ai repris Malaquin. Moi aussi, je suis hodé (454) … Depuis Cocherel, je ne me suis pas lavé. Je pue.
– Tant mieux pour la barbe. Thierry prétend avoir aperçu un certain Herbault qui, lorsque les Navarrais ont envahi Gratot, lui a semblé être le lieutenant de Sacquenville. Alcazar va bien. Nous avons huit chevaux en plus, de sorte que les deux tiens pourront se reposer.
– Comment vont Argouges, Thierry et nos deux compères ?
– Ils se réjouiront de ta venue.
Le mésaise de Tristan s’aggrava lorsque, tourné vers la forteresse immense et somnolente, il vit une lumière égayer à mi-hauteur la tour qu’il avait prise pour un donjon.
– Parle-moi de ce châtelet.
– Il n’a que deux postils 41 , tous deux ouvrant sur une longue basse-cour. En venant du nord ou de la plaine de Cossesseville, le chemin d’accès contourne, au Ponant, l’extrémité du château, de sorte qu’on nous verra de loin si nous passons par là.
– L’autre entrée ?
– On y parvient par un chemin ouvert à flanc de coteau, sur la pente nord de la crête. Ce chemin part du nord-ouest, autrement dit du village de La Pommeraye 42 … Pour empêcher les gros assauts, il y a des fossés taillés dans la roche, d’autres dans la terre… Comme je te l’ai dit, nous devons passer…
– Par les postils.
– Nous pouvons être défaits si nous ne prenons
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