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Les foulards rouges

Les foulards rouges

Titel: Les foulards rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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tout ?
De moi, certes, j’entends bien, mais point le bonheur même passé qui est chose
impalpable comme l’air ? Ne se peut-il que le bonheur des hommes et des
femmes qui nous précédèrent soit cette chose invisible qui, sans raison, traîne
parfois dans l’éther, et nous met la joie en le cœur et le sourire sur les
lèvres en un matin d’avril qui s’étire comme un chat entre tous les roses et
tous les bleus du monde ?
    Elle se jeta contre lui, riant et pleurant
tout à la fois.
    Il la caressa délicatement, elle fit de même
mais leurs gestes doux et tendres s’enflammèrent bientôt et la certitude de se
bientôt quitter à jamais déchaîna leur passion avec l’âpreté que donne un tel
désespoir.
    Dehors, la neige tombait à gros flocons. Un
bûche craqua en la cheminée. Il était doux d’exister.

28
    Les mauvaises nouvelles se multipliaient. La
Fronde gagnait la province. Aix-en-Provence séquestrait son gouverneur, le
comte d’Alais, tandis qu’en Normandie, le duc de Longueville, Frondeur de haute
volée, prenait Rouen et ralliait son parlement à la sédition. Turenne lui-même,
commandant l’armée d’Allemagne, semblait acquis aux idées de la Fronde.
    Informé de tout cela, le comte de Nissac, à
cheval, allait tête basse, suivi de ses hommes en file par un.
    Ils progressaient dans un chemin creux et
enneigé, insensibles à la beauté des étoiles de neige accrochées aux arbres et
aux fleurs de givre collées aux rameaux, indifférents aux cris lointains de
loups affamés qui se risquaient hors les forêts, ne voyant pas même sur la
neige les empreintes de pattes des sangliers et celles, plus rondes, des chats
sauvages.
    La neige recommençait à tomber, glaçant dans
les bivouacs les soldats de l’armée du prince de Condé qui devait mettre Paris
à genoux. Dans tout ce blanc, on ne distinguait que les troncs noirs des arbres
et les silhouettes sombres des malheureux militaires regroupés auprès de feux
de fortune.
    Il devait faire bien froid à Paris où l’on ne
mangeait pas à sa faim mais le comte, s’il plaignait la population, lui tenait
cependant rigueur de s’être donné pour chefs une poignée de traîtres qui, oubliant
la morale la plus élémentaire et manquant à tous leurs devoirs, demandaient l’aide
des armées espagnoles en guerre contre la France, contre son peuple, contre ses
armées. Tous ces féodaux, tous ces factieux, semblaient à Nissac extrêmement
gueux et dignes de la canaille des bas quartiers qu’ils n’arrivaient plus à
tenir. Ne disait-on pas que, à la recherche de l’or caché par les loyalistes
repliés sur Saint-Germain-en-Laye, cette racaille ignoble violait les sépultures
dans l’espoir d’y découvrir les richesses des exilés ? À tels maîtres, tels
valets et ces derniers ne déparaient pas des chefs entretenant des intelligences
avec les ennemis de la France. Tout le reste relevait de la comédie et par
exemple les fêtes fastueuses des Frondeurs parisiens en cuirasse et écharpe
bleue contant fleurette au son des violons à de belles dames de haute naissance…
    La neige, dont l’épaisseur atteignait un pied [15] , dissimulait les profondes ornières creusées par les pluies d’automne
et les pauvres chevaux peinaient, glissant parfois sur des plaques de glace.
    Le sentiment de justice du comte se trouvait
heurté par le mode de vie des seigneurs frondeurs quand la population la plus
pauvre souffrait toutes les misères. En outre, si les factieux étaient
finalement vaincus, il apparaissait comme probable qu’une fois encore, les
Frondeurs ne seraient pas gravement punis, le cardinal n’ayant point pour ce
faire une situation politique assez forte.
    Les Conti, Bouillon et autre prince de
Marsillac – qui se faisait déjà appeler La Rochefoucauld sans même attendre la
mort de son père qui permettrait la transmission du titre –, tous ces hauts
seigneurs, retrouveraient leurs exquises et sensuelles soirées en leurs
magnifiques demeures, leurs parties de chasse, les jeux de Palemail [16] et de paume, le billard, le palet…
    Un capitaine et quelques mousquetaires
barrèrent le chemin à Nissac mais l’officier, voyant les foulards rouges aux
cous des hommes fatigués, allait déjà s’écarter lorsque la voix du comte
retentit :
    — Général-Comte de Nissac, service du
cardinal !
    Le visage de l’officier s’éclaira, très flatté
à l’idée qu’il pouvait enfin mettre un nom sur le chef des

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