Les foulards rouges
médecine.
Ses yeux brillèrent.
— Distrait, distrait, certes, monsieur le
comte, mais pas au point d’être inattentif le jour de la Saint-Paul.
Nissac, qui songeait à la duchesse, réagit avec
retard :
— Ah, nous sommes à la Saint-Paul ? C’est
chose étrange, je la croyais passée.
— Mais elle est passée, monsieur le comte.
Le vingt-cinquième jour de janvier.
Nissac n’y comprenait plus rien et, sentant l’énervement
le gagner, regarda Frontignac droit dans les yeux.
— À la fin, baron, qu’avez-vous donc à me
dire ?
Devinant l’impatience du comte, Frontignac se
hâta :
— Le 25 janvier, jour de la Saint-Paul, permet
de savoir le temps de l’année qui vient.
— Comme c’est curieux ! concéda
Nissac, oubliant que son compagnon lui tenait ce discours depuis plusieurs
années déjà.
Il en eût cependant fallu bien davantage pour
décourager le baron qui reprit :
— Si ce jour-là le temps est beau et
clair, nous aurons belles récoltes. Si nous voyons le brouillard, c’est mort de
nombreux bétail. Si tombe pluie et neige, c’est année de grande cherté mais si
souffle le vent, nous aurons guerres et sédition dans le peuple.
— Je vous entends bien, baron, mais n’ayant
souvenance aucune du temps qu’il fit le jour de la Saint-Paul, ni la veille, ni
le lendemain, peut-être tiendrai-je enfin de votre bouche, et sur l’instant, précision
sur le temps de cette année ?
Frontignac, de sa main gantée, se gratta le
nez en convulsions inattendues qui surprirent le comte puis, d’une voix d’outre-tombe,
il répondit :
— Ah, quelle journée que ce 25 janvier, monsieur
le comte ! Elle commença dans le brouillard mais, lorsqu’il se leva, on
vit temps clair et radieux quand bientôt souffla vent violent et que la neige
tomba en fin d’après midi.
Nissac tenait Frontignac en haute estime mais
pour tout dire, en cet instant, son compagnon l’irritait fort. D’autant que, piqué
au jeu par l’insistance de Frontignac, Nissac voulait connaître le fin mot de
tout cela.
Aussi dit-il d’une voix sifflante :
— Mais enfin, j’ai tout oublié de ce que
vous dîtes à l’instant, vous allez si vite en besogne. Ces choses vous sont
certes familières, mais point à moi qui n’en ai guère l’usage. Que disiez-vous
donc ? Que le bétail allait devenir séditieux ? Ne pensez-vous pas
que les gens de Fronde suffisent à notre malheur sans qu’il soit nécessaire d’y
mêler moutons et génisses ?
Frontignac, sentant l’effort de son général, lui
adressa un bon regard tout de reconnaissance.
— J’aurais sans doute oublié quelque
chose ! Or donc, monsieur le comte, si nous prenons toutes choses en
compte, l’année sera de grande opposition : le bétail mourra, ce qui fera
grande cherté, hélas, mais bien heureusement, nous aurons très belles récoltes
qui, fort malheureusement, seront saccagées par la guerre et les séditions
entre le peuple.
Nissac n’écoutait déjà plus, occupé de savoir
s’il s’en irait le lendemain trouver madame de Santheuil.
Il neigeait de nouveau.
Il entendit, à son côté, le baron de
Frontignac qui poursuivait son discours :
— Au reste, voilà six ans, lors de notre
victoire de Rocroi, je vous avais expliqué tout cela qui est en vérité de
grande simplicité. Mais il est un début à toute chose pour qui veut progresser
en l’art de deviner le temps.
Il réfléchit, oublié du comte.
Soudain, d’un doigt impérieux qui fit
sursauter Nissac perdu en ses rêves, Frontignac désigna le ciel d’où l’aube
avait chassé la lune :
— Voici un excellent conseil, monsieur le
comte, et des plus faciles à suivre !… Regardez la lune la nuit !… Si
la lune nouvelle a ses cornes obscures, il pleuvra. Mais si la corne haute du
croissant est plus obscure que la basse, il pleuvra au décours. Cependant, si
la basse est plus obscure que la haute, il pleuvra aux premiers quartiers.
Incertain, Frontignac demanda :
— Avez-vous compris, monsieur le comte ?
Nissac regarda fixement son compagnon comme on
regarde un ami gravement atteint par la maladie puis, d’une voix très douce qui
inquiéta fort le baron, il répondit :
— Certainement, Frontignac, certainement.
Néanmoins, il se sentit délivré en apercevant
la haute porte de leur refuge du Bout du Monde.
30
Anthème Florenty ouvrit aussitôt la porte et
mena ses compagnons à l’écurie.
Le comte de Nissac savait
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