Les foulards rouges
qu’il commettait une
imprudence en négligeant de passer par la rue Sainte-Marie Égiptienne afin d’y
changer d’apparence et d’y laisser les chevaux mais les hommes étaient fatigués,
ayant grelotté toute la nuit, l’heure matinale commencerait bientôt à peupler
les rues et la nouvelle du combat de la Porte Saint-Denis allait courir Paris à
la vitesse d’une mèche à poudre. En outre, ici même, le Premier ministre avait
fait porter d’autres soutanes, ayant sans doute envisagé semblable situation.
Nissac, pressentant que l’ancien faux saunier
voulait l’entretenir en particulier, entraîna Florenty à l’écart :
— Eh bien, apprends-tu vite, à Notre-Dame ?
Le visage de Florenty s’éclaira.
— Ah, monsieur le comte ! Votre ami,
que je ne sais trop comment nommer, général des jésuites ou duc de Salluste de
Castelvalognes, est d’une patience infinie et d’une érudition sans limites. Certes,
je crois que je saurai bientôt tout des souterrains de Paris, d’autant que j’ai
facilité à me repérer sans quoi je n’eus point été faux saunier mais voyez-vous,
nous sommes bien au-delà de tout cela.
Ils gagnèrent la cour pavée et se dirigèrent
vers l’entrée de l’hôtel sans interrompre leur conversation :
— Que veux-tu dire ? demanda le
comte.
— Sur toutes choses il me donne avis et m’enseigne
que l’esprit doit bouger comme on bouge le corps aussi, à présent, j’essaie de
réfléchir sur le sens de toute action.
— C’est très bien ainsi ! répondit
Nissac.
Mais, à observer le visage de Florenty, il
comprit qu’une gêne demeurait.
— Autre chose ?
— Eh bien…
Nissac s’amusa de l’hésitation de Florenty :
— Voyons si tu sais réfléchir comme tu
prétends t’y efforcer… Tu sais quelque chose, tu ne sais trop comment le dire
mais tu es assez intelligent pour savoir que je ne te ferai point quartier et
finirai par apprendre de toi ce que je dois savoir. Aussi allons-nous gagner du
temps et vas-tu me dire de quoi il retourne.
Florenty n’hésita plus :
— La très belle jeune-femme qui vous
accompagnait en barque à Notre-Dame… Elle savait l’existence de notre refuge de
la rue Sainte-Marie Égiptienne. Elle s’inquiétait beaucoup de vous et passait
de plus en plus souvent ici si bien qu’à la fin, elle s’est endormie dans un
fauteuil du vestibule. C’était voilà cinq jours et depuis, elle revient tous
les soirs pour ne partir qu’au matin.
— Veux-tu dire qu’elle est là en ce
moment même ?
— Tout à fait, monsieur le comte.
Sans en demander davantage, Nissac courut vers
l’entrée.
Il avait fait bien
peu de bruit, pourtant, elle ouvrit les yeux et sourit en découvrant la haute
silhouette du comte, sa longue cape noire au col remonté et couverte de neige
aux épaules, le foulard rouge autour du cou, le chapeau de feutre marine au
bord rabattu sur les yeux et tout empanaché de plumes au ton de cygne et
couleurs de feu.
— C’est folie d’attendre ici ! dit-il,
faussement sévère.
— À la vérité, je m’inquiétais de vous. Les
Frondeurs comme les Condéens pendent si vite ceux qu’ils prennent entre les
lignes qu’ils n’ont point le temps de vérifier leur état.
Il sourit.
— Je mourrai par l’épée ou le boulet, la
hache ou la balle, le feu ou la foudre, frappé d’un mal soudain ou déclinerai
en mon vieux château mais pendu, ça, jamais !
— On ne pend donc point les comtes ?
— Ce n’est pas l’usage quoique, avec la
Fronde, cela puisse changer. Un comte est généralement décapité à la hache en
place de Grèves, mais nous n’en sommes point encore à telle extrémité.
Il ôta son chapeau à plumes puis sa cape et la
jeune femme sursauta en découvrant la jarretière rose de Charlotte de La
Ferté-Sheffair, duchesse de Luègue. Quant à Nissac, il avait totalement oublié
cette petite pièce d’étoffe soyeuse qu’il portait en brassard.
Elle se leva brusquement :
— Le jour est levé.
— Mais… J’arrive à peine.
— Je dois rentrer.
Surpris par le ton de Mathilde, brusquement d’une
très grande froideur, le comte insista :
— Vraiment ?
— Immédiatement.
— Souffrez au moins que je vous
accompagne ?
— C’est inutile, monsieur le comte. Je ne
crains point la neige mais bien davantage les hommes légers, futiles et qui ne
vivent que pour satisfaire leur fantaisie.
— Ah çà, madame, me direz-vous
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