Les grandes dames de la Renaissance
transformer la vie des Français et avoir tant d’influence sur les idées philosophiques et religieuses du XVI e siècle…
Le retour fut long et périlleux. Il ne s’agissait plus d’une promenade militaire au milieu d’Italiens enthousiastes, mais d’une retraite qui pouvait à chaque instant tourner à la catastrophe.
La situation avait, en effet, bien changé en un an. Tandis que Charles VIII s’amusait à Naples, les Vénitiens, Ludovic Sforza, le pape Alexandre Borgia, l’empereur Maximilien et Ferdinand d’Aragon s’étaient ligués et avaient constitué une forte armée.
À Fornoue, les Français faillirent être encerclés. Ils ne passèrent finalement qu’après un combat terrible au cours duquel Charles VIII perdit presque tous ses bagages. Mésaventure qui lui causa une grande tristesse, car il rapportait de Naples un important butin d’œuvres d’art : tapisseries, livres richement enluminés, tableaux, meubles, draps, marbres, bijoux, etc. Mais sa douleur fut bien plus grande encore lorsqu’il constata que les Vénitiens lui avaient pris aussi un coffre personnel contenant non seulement l’os de saint Denis qu’il emportait toujours avec lui dans ses voyages, mais encore l’album où se trouvaient les portraits de toutes les demoiselles dont il s’était « esjoui » pendant l’expédition [44] …
Après cette bataille, les Vénitiens, terrorisés par la « furia francese », n’osèrent plus attaquer l’armée de Charles VIII.
La marche vers la France n’en fut pas accélérée pour autant. Au contraire. Car le roi, délivré de ses soucis militaires, s’attarda dans chaque ville avec des femmes de rencontre [45] .
Le 15 juillet 1495, les Français arrivèrent à Asti où le roi apprit que les troupes commandées par Louis d’Orléans étaient enfermées dans Novare. Il en fut fort peiné.
— Nous devons aller le délivrer, dit-il. Je n’ai pas l’intention de rentrer en France sans le duc d’Orléans. Nous resterons à Asti le temps qu’il faudra.
Ces belles paroles, qui témoignaient d’une grande noblesse de caractère, eussent dû remplir d’admiration tous les soldats et tous les chevaliers. Hélas ! ceux-ci connaissaient le roi, et savaient que la délivrance du duc d’Orléans n’était pas le seul motif qui le retenait à Asti. Charles VIII avait rencontré, en effet, dans cette ville, la belle Anna Soléri, dont il était éperdument amoureux [46] .
Pendant de longues semaines, cette liaison occupa toute sa pensée ; au point qu’il en oublia un peu les assiégés de Novare dont la situation était pourtant lamentable.
Les pauvres, privés de vivres, affaiblis par la dysenterie, espéraient à chaque instant voir arriver l’armée du roi. Certains, complètement démoralisés, se suicidèrent. Les autres finirent par végéter dans un état voisin de la prostration. Louis d’Orléans, lui, était consterné et furieux. Pouvait-il se douter qu’il récoltait en somme ce qu’il avait semé à Lyon, et que le goût pour la débauche qu’il avait cru bon de donner à Charles VIII risquait de le faire mourir à Novare ?
De temps en temps, une lettre pressante arrivait de Lyon où Anne se demandait avec une angoisse justifiée ce que pouvait bien faire son époux. Revenez, écrivait-elle, il y a un an que vous êtes départi de moi. Quand reviendrez, aurez oublié mon visage…
Alors Charles répondait qu’il lui fallait avant tout délivrer son cousin Louis…
Bien entendu, ce n’était toujours qu’un prétexte, car il ne faisait rien qu’organiser des fêtes et s’enfermer dans une chambre avec Anna…
Puis il se lassa : non de la bagatelle, certes, mais de la belle Soléri !… [47] Et aux environs du 10 août, alors que les soldats de Louis d’Orléans en étaient réduits à se nourrir de racines, il alla s’installer à Chieri, près de Turin, où on lui avait signalé une très jolie femme.
Les pourparlers n’étaient jamais longs avec Charles VIII : aussi, le soir même, la dame se trouva-t-elle auprès du roi dans une posture à laquelle certains auraient pu trouver à redire.
Charles prit un goût extrême à cette nouvelle maîtresse et se désintéressa une fois de plus de son pauvre cousin.
Or le 8 septembre, alors qu’il donnait un bal, il vit arriver Georges d’Amboise, essoufflé et le visage défait :
— Cette fois, messire, il faut agir. L’ennemi a réussi à pénétrer dans
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