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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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mois. Je la croyais bien heureuse, et puis
voilà : une lettre anonyme arrive qui me dit qu’elle a un amant… Alors, pendant
que je travaillais pour lui payer son mobilier, cette petite garce s’offrait
des amants avec mon argent ? J’ai vu rouge, monsieur, croyez-moi, c’était
trop fort… Je l’aimais tant !
    – Ma femme m’a pardonné, monsieur, car c’est un ange…
    L’autre, l’enfant blonde au ventre voluptueux, trois fois
perforé, tenait du démon.
    C’est en vain que je cherche la passion chez les passionnels.
Je ne trouve que des impulsifs, plus incapables encore d’une longue souffrance
que de maîtriser leur colère, aussitôt apaisée après leurs gestes, d’ailleurs
complaisants envers eux-mêmes dans un calcul secret d’acquittement. Un garçon
de café anémique a tué sa maîtresse par jalousie. C’est le plus tranquillement
résigné d’entre nous. Il y a encore le boucher T., boutiquier calculateur, trop
pratique et trop fruste pour souffrir vraiment. On s’arrangeait pour lui faire
raconter l’histoire du petit âne, du brave petit âne qu’il « adorait ».
    – Eh bien, le petit âne ?
    – Je l’ai abattu, il mangeait trop.
    J’eus quelque temps pour voisin à l’atelier de brochage un
petit vieux perclus de rhumatismes. À soixante ans, croyant surprendre chez sa femme,
plus jeune que lui de cinq ans, une attitude révélatrice envers un voisin
soupçonné, vieillard comme lui, il l’avait abattue d’un coup de hachette…
« Y n’l’a pas eue ! » bafouillait-il à la fin de son récit. Son inconscience
confinait à l’imbécillité. Ayant été longtemps concierge en province, on lui
fit demander au directeur l’emploi de concierge dans la prison…
    Les petits-bourgeois qu’un crime passionnel amenait ici se
croyaient victimes d’une immense injustice ; ils méprisaient les « droit
commun ». Ils étaient dévots, soumis, écrivassiers, enclins à la délation.
    Les incendiaires – les « metteux d’feux » – formaient
une autre catégorie, plus soumise encore. C’étaient pour la plupart des paysans
hargneux, contents de pouvoir mépriser les « messieurs » vêtus du
même droguet qu’eux, porteurs de mêmes matricules et dont ils jalousaient les
emplois dans les bureaux, hostiles aux « affranchis » par attachement
à la propriété, hostiles aux anarchistes par amour de l’ordre. Le mouchardage
était le seul moyen qui leur restât de s’attirer quelque faveur de l’administration.
Leur esprit retors devinait les « combines » de tabac, les livres
illicites – la came –, les intrigues amoureuses.

19. Les hommes.
    En face de cette foule se campaient les hommes, les vrais. L’« affranchi »,
fixé sur les valeurs sociales, n’a ni foi, ni loi ; mais il a le respect
de lui-même, la conscience de sa force, le respect des Hommes, c’est-à-dire des
forts. – « Je suis un homme, moi ! » Toute sa fierté tient dans
ces mots. L’homme ne trahit pas. L’homme sait recevoir – et donner – un coup de
couteau. L’homme sait descendre au cachot et « la fermer ». Le plus
grand éloge qu’on puisse faire de lui est de dire : « C’est un homme. »
Il perce les coffres-forts, marche à la « taule » (cambriole), surveille
les femmes sur les trottoirs, fait la traite des blanches. On peut se fier à
lui, s’il marche, c’est à fond. S’il dit non, c’est non : personne
n’en saura rien.
    Richardeau est un homme. Sa face d’hercule trapu, noire de
sourcils, alourdie par une forte mâchoire plantée de dents splendides, le
proclame avec un sourire calme. Ses bras sont poilus ; ses mains
formidables portent à la paume et aux poignets de petits tatouages précis.
    – Connais-tu ça ? (une flèche, deux points, un
cœur).
    – Non ? t’iras d’mander c’que c’est aux mecs du port
de Marseille. Y n’l’oublieront pas de sitôt !
    Les hommes qui portent au poignet cette marque glorieuse
sont tous au bagne, sauf lui. Nul n’est plus sûr camarade que Richardeau. Le
tabac est sa seule faiblesse. Beaugrand l’incendiaire, son voisin, le couve d’une
haine patiente. Ce grand rustre mou et sale flaire dans les plus profondes
cachettes la pincée de tabac, le mégot éteint. Richardeau nie toujours, tranquillement,
l’évidence même.
    – Ce tabac est bien à vous ?
    – Non.
    – On l’a trouvé à votre place.
    – Peut-être bien.
    Il a fait quinze jours de cellule. Puis

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