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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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lui devait son commandement à Toulon et par suite ses grades. Enfin, M me  Permon avait emmené à Bordeaux le représentant proscrit, déguisé en domestique.
    Dans cette famille, le jeune Buonaparté se sentait comme chez lui. Il en était l’enfant terrible. Il décourageait par ses brusqueries la bonne volonté d’Albert, qui l’aimait bien pourtant. Il déconcertait les parents, mais il savait, avec un charme non pareil, se faire pardonner ses incartades. Il étonnait leur fillette, Laure – Loulou –, dont le bon petit cœur s’émouvait, car elle entendait sa mère dire que Napoléon était « vraiment malheureux ». Elle le voyait, arrivant à l’hôtel, traverser la cour « d’un pas assez gauche et incertain ». Un mauvais chapeau rond enfoncé sur les yeux laissait échapper « deux oreilles de chien toutes pareilles à celles des muscadins qu’il détestait, tombant sur le collet d’une mince redingote gris de fer ». La jeune Loulou le trouvait laid avec ses traits « presque tous anguleux et pointus », sa petite silhouette osseuse, son teint jaune, « maladif même », mais aussi avec un regard, un sourire « admirables ». Dans le salon, il tendait au feu ses bottes crottées dont l’odeur offusquait M me  Permon. Elle promenait sous ses narines un mouchoir parfumé. Quand il s’en aperçut, il acheta les services de la femme de chambre pour qu’elle lui nettoyât ses bottes avant son entrée dans l’appartement.
    Parfois il amenait ses amis, surtout le plus intime : Andoche Junot, vingt-trois ans, ex-sergent canonnier devenu sous Toulon son secrétaire puis son aide de camp à Nice. Junot, qui avait voulu le faire évader du fort Carré, nourrissait pour lui l’admiration et le dévouement d’un vrai Pylade. Il demeurait avec son général, rue de la Huchette, l’aidait de sa bourse à l’occasion, car ses parents, Bourguignons fort à l’aise, lui servaient une honnête pension. Malgré ces subsides, il fallait aux jeunes gens se priver de bien des superfluités dont on est friand à cet âge. Souvent, le soir, assis sous les arbres des Capucines, ils regardaient non sans amertume les nouveaux mirliflores de la jeunesse dorée s’exhiber sur leurs chevaux de luxe ou lorgner les merveilleuses de boulevard en jurant leur « paole parfumée », leur « paole panachée ». Il arrivait que Napoléon perdît patience. Il déclamait contre l’injustice du sort. Il injuriait à mi-voix ces incoyables aux ridicules affectations, aux cravates, aux revers démesurés, aux bas en tire-bouchons. « Et ce sont ces êtres-là qui jouissent de la fortune ! » s’exclamait-il en repoussant sa chaise avec humeur.
    Afin d’augmenter leurs ressources, quand Junot recevait sa pension il en risquait certaines fois une partie au jeu. Prudemment, il confiait à Buonaparté les trois quarts de la somme ; le reste allait courir les chances du trente-et-un dans les tripots du Palais-Royal. Le jeune capitaine jouait froidement et méthodiquement, pour gagner. Il rapportait assez fréquemment des rouleaux d’or. Alors le petit intérieur devenait joyeux ; on réglait les dettes, on se passait quelques fantaisies.
    L’arrêté plaçant le général Buonaparté à la tête de la mission en Turquie avait considérablement amélioré ce médiocre état de choses et le moral de Napoléon. Non seulement il touchait désormais solde entière, mais surtout il ne se sentait plus écarté, impuissant, condamné à végéter tandis que d’autres moissonnaient des lauriers. Il avait repris son uniforme bleu noir avec des broderies d’or renouvelées. Il pouvait de nouveau se promettre cette gloire dont les prestiges obsédaient son imagination poétique et ardente. Il écrivait à Désirée Clary des lettres enthousiastes. « Je ne vois dans l’avenir, lui confiait-il, que des sujets agréables. »
    À vrai dire, Eugénie-Désirée n’occupait plus une place très certaine dans cet avenir. Napoléon avait voulu l’épouser parce qu’elle lui plaisait, assurément, mais aussi parce que cette union avec une fille de riches négociants convenait au mieux à un officier sans fortune. Il enviait affectueusement son frère d’avoir réussi avec Julie Clary un établissement très avantageux. « Ce coquin de Joseph a bien de la chance ! » disait-il en août à Bourrienne.
    À présent, il n’en était plus si sûr. La petite Marseillaise de dix-sept ans paraissait tout à coup bien

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