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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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C’est cela que Jérôme savait.
    Claude monta en poste pour Limoges le 28 août. Seize jours plus tard, il reçut de son cabinet une lettre foudroyante. Jérôme ne vivait plus ; un soir, au café Lemblin, il s’était querellé avec un officier des compagnies rouges, qui lui avait, le lendemain matin, au bois de Boulogne, logé une balle dans le cœur. Claude fut atterré. Jérôme ne fréquentait pas jusque-là les cafés du Palais-Royal. Nulle passion politique ne l’animait. Pourquoi eût-il provoqué un officier de ces compagnies ultra-royalistes, sinon pour se faire tuer par un homme du parti que flattait le conseiller ? C’était un suicide déguisé, évidemment, et à la fois une vengeance à l’égard de son père. Celui-ci avait dû vouloir le contraindre. Mais je suis le principal coupable, estimait Claude. L’origine de tout se trouve dans la façon dont j’ai traité ce malheureux enfant. Il faut se défier même de l’affection que l’on porte à autrui. Je lui en ai trop montré, je l’ai trop manifestement adopté pour gendre par avance, sans voir que les sentiments de Claire n’étaient pas mûrs, sans prévoir qu’elle pourrait en changer, sans prendre assez au sérieux ce dont pourtant Lise et moi – elle a raison – avons fait l’expérience. On recommence toujours les mêmes fautes, mais quelle atroce conséquence !
    La douleur, le remords le poignaient. Il en tomba malade. Une jaunisse se déclara. Il dut garder le lit, chez ses parents, à la Manufacture. Lise, quoique très affectée elle aussi, s’efforçait de le convaincre qu’un enchaînement de hasards malheureux avait seul provoqué cette tragédie. Quand il put recevoir, son vieil ami Pierre Dumas, qui lui devait la vie, entreprit de le distraire, avec Brival, depuis quatorze ans juge à la cour d’appel de Limoges, et Montaudon oublieux de leur brouille ancienne. Claire, Antoine, Thérèse venaient de Thias tous les jours. Claire n’avait pas sans verser des larmes appris la fin de Jérôme. Elle le croyait mort dans un duel ordinaire, et, heureusement, ne se doutait pas qu’il eût choisi ce moyen de disparaître sans qu’elle pût s’imaginer en être la cause.
    Souvent, M. Dupré, en dépit de ses soixante-dix-neuf ans, conduisait lui-même sa femme, Thérèse, Claire, en ville. Une fois, il arriva furieux. « Savez-vous, mon gendre ! s’exclama-t-il. J’ai flanqué à la porte de chez moi ce sacré curé d’Isle. Ne me menace-t-il pas de m’excommunier, moi et les miens, si je ne restitue point les biens nationaux dont je suis propriétaire depuis vingt-quatre ans ! “Excommuniez la commune entière, lui ai-je répondu, et même tout le département si ça vous chante. Nous nous moquons de vos mômeries. Personne ne rendra un seul pouce de la terre acquise légalement, avec de l’argent durement gagné, qu’elle soit bien d’émigré ou bien d’Église.” Ces foutus prêtres ! ils ne se sentent plus. Ils feront perdre la tête à Louis XVIII comme l’a perdue Louis XVI.
    — Eh ! mon père, dit Claude en souriant, vous voilà aussi radical que les sans-culottes de 93 !
    — En vérité, je ne souhaite aucun mal au roi. Mais qu’il se débarrasse de sa clique, bon sang ! »
    Telle était l’opinion générale à Limoges, dans la bourgeoisie. Quant au peuple, il bouillait d’une sourde colère. Le peintre Préat, pourtant bien calmé par l’âge, prophétisait : « Il y aura une autre Révolution. On nous pousse à bout, le sang des prêtres et des nobles coulera de nouveau. » M. Mounier voyait sa manufacture, florissante depuis le Consulat jusqu’en 1811, péricliter une fois de plus. Il ne souhaitait certes pas une révolution, mais au contraire la stabilité, décidément impossible en France, semblait-il. Découragé, il parlait de vendre, quoique ce ne fût pas le moment. « Attends un peu, bon-papa, lui dit Antoine. Qui sait ? Peut-être la reprendrai-je, ta manufacture, si la carrière des armes reste fermée. Cela m’intéresse, la porcelaine. » Il s’était amusé à dessiner un service dont il décora ensuite les pièces avec des scènes militaires. Il en fit don à M me  Dumas. La cadette de ses filles le charmait. Elle ne comptait que quinze ans ; néanmoins, lorsqu’on repartit pour Paris, il ne s’éloigna pas sans certain regret.
    On débarqua rue Notre-Dame-des-Victoires le 15 octobre, car il avait fallu un mois entier à Claude pour se guérir,

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