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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom
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cou. Barak évita la lame de justesse mais elle le frappa au bras droit. Il y porta aussitôt la main et du sang jaillit entre ses doigts. Le bras paralysé, il lâcha son épée, dont Marchamount s’empara. Il me regarda et vit que je tenais toujours le vase. La mine triomphante, il recula le bras de façon à donner le coup de grâce à Barak.
    Je jetai sur lui le contenu du vase. Une grande giclée de liquide l’atteignit et l’odeur infecte du feu grégeois emplit l’espace. Il hurla, recula en titubant et glissa dans une flaque visqueuse. Perdant l’équilibre, il retomba contre la table, renversant la chandelle dont la flamme lécha sa manche. Sous mes yeux incrédules, le corps entier de Marchamount se transforma en pilier de feu. Je reculai, pétrifié d’horreur en l’entendant hurler, transformé en torche de la tête aux pieds. Il battit frénétiquement des mainscontre ses flancs — en vain. Déjà, on sentait l’abominable odeur de la chair brûlée. La table était en feu elle aussi, et une flaque du liquide s’étalait sur le sol. Le sergent se précipita vers la porte ouverte, les jambes en flammes, et tituba jusque dans l’autre pièce. Je le suivis. Jamais je n’oublierai la vision de Marchamount hurlant et se tordant de douleur. Il n’était plus qu’une flamme jaune et rouge, ses dents blanches découvertes dans un rictus d’agonie, le visage déjà noirci et les cheveux en feu. Il poussa un hurlement de bête en se précipitant vers l’ouverture du mur. On entendait un horrible grésillement. Il sauta dans le vide, hurlant toujours pendant sa chute vers le fleuve. La boule de feu toucha l’eau brutalement dans une gerbe d’éclaboussures et disparut. Le cri inhumain cessa net et il ne resta plus rien de Marchamount, hormis quelques lambeaux de sa robe de sergent qui se calcinaient encore sur le sol.
    J’entendis Barak crier et me retournai. L’autre pièce était la proie des flammes, au milieu desquelles gisait en mille morceaux le vase qui avait contenu le liquide. Le feu léchait l’appareil à projeter le feu grégeois. Barak fit un pas dans sa direction, bien qu’il saignât copieusement. Je lui saisis l’épaule.
    « Trop tard. Venez, sinon nous allons brûler avec l’entrepôt. »
    Il me jeta un regard furieux et angoissé, mais me suivit tandis que je me précipitais vers l’escalier. Nous descendîmes à la course dans le corps principal ; en levant les yeux, nous vîmes que les flammes léchaient déjà les murs du bureau. Barak s’arrêta, cligna des yeux, essayant de reprendre ses esprits.
    « Allons voir le comte, dit-il. Tant pis pour l’incendie. »
    J’opinai et nous nous précipitâmes au-dehors, sous la pluie. Les gouttes froides qui me cinglaient le visage me coupèrent le souffle. De la fumée sortait par la porte à mi-étage et se déversait sur le fleuve. Je regardai la Tamise en contrebas. Je crus voir quelque chose de noir affleurer un instant à la surface avant d’être entraîné en amont par la marée montante. Peut-être était-ce une bûche, ou le cadavre de Marchamount, la dernière victime du feu grégeois sur cette terre.

45
    N ous rentrâmes lentement par C heapside puis redescendîmes vers le fleuve par des ruelles que la pluie avait déjà transformées en torrents de boue sale et gluante. Quand elle tombe en gouttes lourdes et dures sur des têtes lasses, comme si elle était jetée du ciel par une main courroucée, la pluie peut avoir quelque chose d’impitoyable. Cette fois-ci, nous assistions à un véritable orage et non à une petite ondée d’une demi-heure comme la dernière. Partout, des Londoniens dont les vêtements d’été trempés leur collaient à la peau couraient se mettre à l’abri.
    Barak s’appuya contre un mur. Entre les doigts de la main qu’il crispait sur son bras blessé coulait un filet de sang.
    « Il faut faire soigner cette blessure. Allons chez Guy, il n’habite pas loin. »
    Il secoua la tête. « Non, Whitehall d’abord. Ça ira. » Il regarda mon poignet. « Et votre main ?
    — Ce n’est rien. La coupure n’est pas profonde. Laissez-moi vous bander, dis-je en sortant un mouchoir de ma poche. » Passant le mouchoir autour de son bras, je le nouai serré ; il y eut un petit jet rouge, puis, à mon grand soulagement, le sang cessa de couler.
    « Merci », dit Barak. Il inspira profondément, se décolla du mur. « Prenons un bateau. » Comme nous descendions tant bien que mal les marches

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