Les larmes du diable
Jack a cent livres en pièces d’or, qu’il comptera à Gristwood en récompense. Et vous pouvez le prévenir que s’il ne coopère pas, j’appellerai à ma rescousse le chevalet de torture de la Tour. »
Je levai les yeux vers lui. La tête me tournait à l’idée de m’impliquer dans une affaire concernant le roi en personne. Cependant, Cromwell avait la vie d’Elizabeth entre ses mains. Je rassemblai mon courage.
« Où habitent les Gristwood ?
— Ils vivent avec la femme de Michael, dans une grande maison délabrée, à Wolf Alley, dans la paroisse de Tous-les-Saints à Queenhithe. Sepultus y travaille. Je veux que vous vous y rendiez dès aujourd’hui. Jack vous accompagnera. »
Je restai assis un moment et choisis mes mots avec soin : « Si je fais cela, Votre Grâce, je vous supplie de ne plus me confier d’autre tâche ensuite. Je mène une vie tranquille désormais, c’est tout ce à quoi j’aspire. »
Je pensais que ce manque d’ambition m’attirerait une volée de bois vert, mais Cromwell se contenta de m’adresser un sourire ambigu. « Oui, Matthew, vous retournerez à votre vie paisible. Et réjouissez-vous d’avoir le choix.
— Merci, Votre Grâce. »
Il se leva. « Partez tout de suite. Si les Gristwood ne sont pas là, trouvez-les. Jack, vous me ferez votre rapport à la fin de la journée.
— Oui, Votre Grâce. »
Je me levai et saluai. Barak alla ouvrir la porte. Avant de le suivre, je me retournai vers mon ancien maître. « Votre Grâce, puis-je vous demander pourquoi vous m’avez choisi pour cette mission ? »
Du coin de l’œil, je vis Grey secouer légèrement la tête à mon intention.
Cromwell baissa les yeux. « Parce que Gristwood vous considère comme un homme droit et vous fera confiance, comme je vous fais confiance moi aussi, parce que je sais que vous êtes l’un des rares qui ne chercheront pas à tirer profit de la situation. Vous êtes trop honnête.
— Je vous remercie », dis-je à mi-voix.
Son visage se durcit. « Et aussi parce que vous attachez trop de prix au destin de la fille Wentworth. Et enfin, parce que vous avez trop peur pour oser me contrarier. »
----
8 . Thomas Wolsey (1473-1530), cardinal et lord-chancelier de Henry VIII, finit en disgrâce. Thomas Cromwell, qui était son secrétaire, le remplaça comme conseiller du roi.
9 . Cour créée en 1535 par Henry VIII pour gérer l’augmentation des revenus entraînée par la confiscation des biens des monastères après leur dissolution.
7
D ehors , B arak m ’ enjoignit avec brusquerie d’attendre pendant qu’il allait chercher les chevaux. Je restai sur les marches du bâtiment, regardant vers Chancery Lane. Voilà que, pour la seconde fois, Cromwell me lançait dans une affaire complexe et dangereuse. Mais que faire ? Même si j’avais osé le défier, il restait Elizabeth.
Barak reparut sur sa jument noire, menant Chancery par la bride. Je montai en selle et nous nous acheminâmes vers la grille d’entrée. Mon compagnon avait le visage sérieux et fermé. Barak : quel drôle de nom ! Il avait des résonances étrangères alors que l’homme, lui, paraissait tout à fait anglais.
Nous nous arrêtâmes à la porte pour laisser passer une longue procession d’apprentis à la mine maussade qui portaient l’insigne bleu et rouge des peaussiers et se dirigeaient vers Holborn Fields. Tous avaient des arcs sur l’épaule, et quelques-uns portaient de longs fusils à mèche : à cause de la menace d’invasion, tous les jeunes gens étaient tenus de faire un service militaire.
Nous descendîmes vers la Cité. « Ainsi, vous avez assisté à la démonstration du feu grégeois, Barak », dis-je, adoptant un ton délibérément hautain. J’avais décidé de ne pas me laisser impressionner par ce jeune gaillard mal embouché.
Il me lança un regard peu amène : « Parlez plus bas, nous ne voulons pas que le mot circule. Oui, j’étais là. Et ça s’est passé comme l’a dit le comte. Jamais je ne l’aurais cru si je ne l’avais vu de mes propres yeux.
— On peut faire des tours extraordinaires avec de la poudre. À la dernière procession du lord-maire, j’ai vu un dragon cracher des boules de feu qui explosaient ensuite.
— Vous ne me croyez pas capable de reconnaître un tour d’artificier ? Ce qui s’est passé à Deptford était tout autre chose. Il ne s’agissait pas de poudre, et ç’a été un événement sans précédent, en Angleterre en tout cas. »
Weitere Kostenlose Bücher