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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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si les tentes de toutes formes et couleurs ne se pouvaient comparer avec celles des nobles, ceux qui les habitaient – du moins les hobereaux – rivalisaient d’élégance. Ogier et ses compagnons se trouvèrent plongés dans une armée riche en armes et en vêtements, étrange émanation d’un pays qui, depuis la défaite de l’Écluse, sept ans plus tôt, n’avait subi que de sanglants revers. Et plus ils avançaient, plus ils s’ébahissaient :
    — Voyez donc ces tissus ! s’exclama Tinchebraye. Du velours ciselé sur ce gars à face de charcutier !… Du vert de Douai et de la brunette d’Amiens sur ce sauvatier [291] qui vient du fin fond du royaume !
    — Des jambières de mollequin sur cet écuyer, au lieu qu’elles soient en coutil ! s’étonna Courteille.
    — Et cette cotardie de drap pourpre, tachetée ! continua Desfeux.
    — Cette carcaille de satin ! reprit Le Hanvic. Est-ce un temps pour porter pareille parure à son cou [292]  ? Nous ne sommes pas dimanche, mais lundi…
    « Le 16 », calcula Ogier. « Nous n’avons guère perdu notre temps ! »
    — Voici les pavillons des grands seigneurs, dit Thierry. Par Dieu, où sommes-nous ?… Que sommes-nous venus faire ? Après ce que nous avons vu, considérez-moi ça !
    Ils passaient de la pompe à la magnificence, et certains n’osaient croire ce qu’ils voyaient, comme si quelque enchanteur les avait soudain plongés dans une agreste Cour où seules manquaient les femmes. Les seigneurs, attablés ou non, portaient des sarraus de velours broché ou parfilé d’or, des pourpoints si serrés qu’ils étranglaient leur taille, et si courts qu’on voyait le sommet de leurs fesses ; des heuses à grelots ou clochetons d’argent, des souliers cloutés d’or, voire de ces pigaches [293] qui jadis avaient fait scandale. Au-dessus des chaperons brodés remuaient des plumes d’autruche adornées de perlettes ou de piécettes d’or. De gros colliers brillaient sur les poitrines, et des bagues pareilles à des cailloux étincelaient sur les mains. Certains poignets portaient des bracelets d’émail.
    — Merdaille ! dit Joubert. Une armée de femelles.
    — Certains de ces affiquets, dit Thierry en rejoignant son beau-frère, valent bien…
    — Cent ou deux cents moutons [294] , tu peux me croire.
    Ils se montrèrent d’un clin d’œil un chevalier à la cuirasse constellée de pierreries.
    — Le connais-tu, Ogier ?
    — Nullement.
    Un autre passa, vêtu simplement d’une chemise de lin et de haut-de-chausses de velours noir. Ogier allait d’emblée prendre cet inconnu en estime quand son regard tomba plus bas : il portait ad ostentationem des chaussures à la poulaine si courbes et si longues que pour ne pas gêner sa marche elles tenaient en place par un fin cordon de soie tressée fixé à une jarretière, de soie également, ornée de grillettes [295] .
    — Voilà des hommes singuliers ! dit Thierry. Pour eux, tout ce qui compte semble être frisqueté [296] , joliveté, hautaineté…
    — Comment des princes et des barons amollis, émasculés, pourront-ils gagner les prochaines batailles ? demanda Courteille, inquiet.
    — Et voyez comme ils nous regardent ! dit Hustin Jaucourt, sortant de son silence. Par ma foi, ils nous prennent pour des rustiques !
    — Je pourrais m’ébaudir, confia Ogier à son beau-frère. Or, ils ne m’égaient pas : ils m’effraient !… Je suis sûr qu’à Calais, les Anglais sont…
    — D’une enviable décence, termina Thierry. Et prêts à un accueil sans bobant [297] ni courtoisie. Quant à notre suzerain…
    — Nous approchons de son gîte : il dépasse tous les autres.
    Une couronne de logis somptueux ceignait celui du roi de France avec assez d’espace entre eux pour permettre le passage de deux ou trois chevaux allant de front. Les grands vassaux avaient leurs cuisines et leurs serviteurs. Panetiers, échansons, bouteillers, maître-queux aux riches livrées grouillaient autour des feux et des barils ; et tandis que ça et là, sous la protection de quelques guisarmiers, des commères d’Hesdin préparaient des légumes, des viandiers découpaient des quartiers de mouton qu’ils embrochaient avec des volailles. Comme quatre picquenaires convenablement accoutrés se portaient à leur rencontre, l’arme en avant, le regard mauvais, Thierry fut pris d’un doute :
    — Crois-tu, Ogier, qu’ils nous laisseront avancer ?… Ils ont bien vu

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